Le procès de Bosco Ntaganda devant la Cour pénale internationale (CPI) a débuté il y a trois mois et demi. Jusqu’à présent, les procureurs ont appelé neuf témoins pour déposer contre l’ancien commandant de milice qui répond de 18 charges de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité devant la Cour basée à La Haye. Cet article présente un récapitulatif des témoignages présentés par l’accusation avant que la Cour n’observe ses vacances d’hiver.
Le contexte général
Libre pendant près de sept ans après que la CPI ait émis son premier mandat d’arrêt à son encontre, M. Ntaganda s’est rendu à l’ambassade américaine de Kigali, au Rwanda, au mois de mars 2013 et a demandé à être transféré à la CPI. Le 10 juillet 2014, les juges de la chambre préliminaire ont confirmé à l’encontre de M. Ntaganda les charges de meurtre,de tentative de meurtre, de viol, d’esclavage sexuel et d’utilisation d’enfants soldats. Les autres charges pour lesquelles il est jugé comprennent le transfert forcé de population, le déplacement de civils, les attaques contre des biens protégés, le pillage et la destruction de biens. Les crimes auraient été commis en 2002 et 2003 alors que M. Ntaganda occupait les fonctions de chef adjoint d’état-major des Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC). À l’époque, les FPLC étaient une des milices ayant pris part à un conflit ethnique en Ituri, une province de la République démocratique du Congo (RDC).
Les procureurs ont déclaré dans leurs déclarations liminaires qu’ils avaient prévu plus de 80 témoins, notamment des membres de la milice qui avaient travaillé avec M. Ntaganda, des victimes, des témoins oculaires et des témoins experts. L’accusation a également indiqué qu’elle s’appuiera sur des preuves scientifiques recueillies sur des corps exhumés, des logs de communication, des lettres; des vidéos et des photos des camps d’entrainement de la milice. Nous présentons ci-dessous les témoignages entendus jusqu’à présent sur certains des thèmes principaux du procès.
Les massacres ethniques
Les procureurs soutiennent que les crimes pour lesquels M. Ntaganda est jugé ont été perpétrés à l’encontre des civils, notamment des Lendu. Le premier témoin à se présenter à la barre, le témoin P-0805, a raconté comment les combattants des FPLC avaient organisé une réunion pour la paix avec les membres d’un groupe ethnique rival près de la ville de Mongbwalu en République démocratique (RDC) mais avaient arrêté puis avaient abattu ceux qui s’y étaient rendus. Il a précisé avoir compté 49 corps de civils abattus, y compris des femmes et des enfants dont certains avaient seulement deux ou trois ans.
À Kobu et dans les villes environnantes, le témoin P-016 a raconté plus de massacres encore. Il a déclaré que les troupes des FPLC avaient abattu son père, avaient décapité sa femmes et ses enfants et tué de nombreux autres témoins. Selon ce témoin, seuls les combattants des FPLC étaient présents à Kobu au mois de mars. Les juges ont également entendu que les combattants des FPLC gardaient leurs prisonniers dans des fosses. Roberto Garretón, dénommé également témoin P-0931, un ancien rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme pour les Nations Unies sur les droits de l’homme en RDC, a accepté que son témoignage enregistré précédemment lors du procès de Thomas Lubanga soit admis en tant que preuve dans l’affaire Ntaganda. M. Garretón a témoigné en tant que témoin expert au procès Ntaganda pendant une heure environ, principalement sur les origines du conflit ethnique en RDC.
Le viol
Le second témoin à se présenter à la barre a été le témoin P-0901. Il a déclaré que les troupes commandées par l’accusé avaient violé des filles et des femmes à des postes de contrôle autour des villes qu’ils contrôlaient. Selon le témoin, à l’exception d’un seul cas où l’auteur a été identifié puis a ensuite fuit, il ne connaissait personne qui ait été puni pour un viol.
Ce procès a constitué un précédent en étant le premier de la CPI dans lequel un commandant était accusé de viol et de violence sexuelle commis à l’encontre d’enfants soldats placés sous son commandement. Cependant, à l’ouverture de son procès, le substitut du procureur Nicole Samson a déclaré que bien que M. Ntaganda ne serait pas poursuivi en tant qu’auteur direct de viol, les éléments de preuve montreraient qu’il a commis les viols, notamment sur les filles de sa garde rapprochée, ce qui démontrerait qu’il savait que des crimes sexuels étaient perpétré sur les enfants soldats de son groupe.
Les avocats de la défense ont continué à s’opposer à la soumission de preuves relatives aux viols qui auraient été commis par M. Ntaganda en personne. Le 30 octobre, les juges ont toutefois décidé que ces preuves étaient admissibles « au cas par cas ». Ils ont considéré que « la conduite d’un accusé, en particulier pendant la période des charges, a une incidence potentielle suffisante, notamment par rapport aux différents modes de responsabilité et aux mens rea », ont souligné les juges.
Les enfants soldats au sein de l’UPC / des FPLC
En 2013, Thomas Lubanga, la première personne à être jugée devant la CPI, a été condamné à 14 ans de prison pour utilisation d’enfants soldats afin qu’ils participent activement à des combats. M. Lubanga a été le chef de l’Union des patriotes congolais (UPC). Les FPLC ont été la branche armée de l’UPC. Le témoin P-886 a apporté une déposition sur les enfants soldats présents dans les rangs des FPLC. Il a déclaré que les fonctions des enfants soldats comprenaient celles de gardes du corps pour les commandants du groupe.
Le témoin P-010, un ancien combattant du groupe, a également témoigné sur les enfants soldats au sein des FPLC. Dans son témoignage de 2009 au procès Lubanga, le témoin P-010 a indiqué à la Cour que les commandants des FPLC avaient régulièrement des relations sexuelles forcées avec des recrues féminines. Elle a également déclaré que les commandants de la milice avaient encouragé les combattants à prendre de la drogue avant de combattre, pour leur donner du courage semble-t-il, et ceux qui manifestaient leur peur étaient placés en première ligne des combats. Le témoin a également indiqué que les recrues de la milice de M. Lubanga, dont certaines avaient moins de 13 ans, étaient soumises à un entraînement brutal et à de l’endoctrinement dans les camps de Rwampara et de Mandro.
Les avocats de M. Ntaganda ont affirmé que le témoin P-010 était motivé par un profit personnel. Ils ont déclaré que cette femme avait fait de nouvelles affirmations sur le rôle de M. Ntaganda dans les atrocités afin de retrouver un statut de victime participante au procès qu’elle avait perdu dans le procès de M. Lubanga. Les avocats de M. Ntaganda ont cherché à mettre en cause le témoin P-010. Le témoin P-010 est la seule femme à avoir témoigné jusqu’à présent au procès.
Dans le jugement Lubanga, les juges ont conclu qu’ils ne pouvaient pas prendre en compte « de nombreux aspects » de la déposition du témoin P-010 étant donné les contradictions existant entre son témoignage et les preuves documentaires concernant son âge à l’époque des évènements. Les juges du procès Lubanga ont également conclu que huit autres personnes ayant témoigné en tant qu’anciens enfants soldats des FPLC avaient apporté des faux témoignages. Par conséquent, les juges ont rejeté leur témoignage et ordonné la révocation du statut de ces personnes en tant que victimes participantes au procès.
Le pillage et le vol de biens
Le témoin P-0805 a indiqué que les soldats des FPLC avaient démoli sa maison et volé des biens, notamment 53,5 g d’or d’une valeur de 4 920 $, 9,3 g d’alliage d’or, 12 pantalons, 14 chemises, 7 paires de chaussures, 5 paires de sandales et une bicyclette. Il a témoigné sur l’or qui aurait été volé par M. Ntaganda à Mongbwalu et transporté par son cousin vers le quartier général du groupe à Bunia. Il a ajouté que les troupes de M. Ntaganda avaient pillé un hôpital à Nyakunde et volé des vêtements ainsi que d’autres marchandises dans des magasins de Mongbwalu.
De même, le témoin P-886 a relaté l’entrée de l’UPC dans la ville de Sayo et comment les magasins avaient été pillés et les civils tués.
Le déplacement forcé de population
Selon l’accusation, les FPLC étaient majoritairement composés de membres du groupe ethnique Hema, bien que M. Ntaganda soit lui-même rwandais d’origine Tutsi. Le témoin P-0901 a déclaré que, après que les FPLC aient pris le contrôle de Mongbwalu, aucun habitant Lendu n’avait continué à vivre dans cette ville ou dans les autres occupées par les FPLC. A Sayo, les groupes ethniques qui n’étaient pas prétendument en guerre avec les FPLC, à savoir les Alur, les Babira et les Lugbara, étaient restés dans la zone lors de son occupation par le groupe.
Le témoin P-0805 a affirmé avoir fuit son village après qu’il ait été attaqué par les FPLC car il avait peur d’être tué. Le témoin a déclaré appartenir à l’ethnie Lendu.
Ntaganda a déclaré au début de son procès qu’il était un artisan de la paix et un révolutionnaire qui s’est battu pour ramener la paix en Ituri qui avait été assiégée par une milice ethnique meurtrière et pour permettre à des civils déplacés de revenir chez eux.
La responsabilité de M. Ntaganda
Ntaganda est jugé en tant qu’auteur direct et co-auteur indirect des crimes. L’accusation a cependant demandé aux juges d’examiner l’addition d’un mode de responsabilité alternatif pour la « co-perpétration directe ». Les procureurs affirment que M. Ntaganda a dirigé ses soldats dans des opérations et leur a ordonné de commettre des crimes. Selon le témoignage d’un ancien soldat des FPLC, l’accusé a donné l’ordre de ne pas épargner l’ennemi.
« L’ordre a été donné que si nous croisions l’ennemi, nous devions le frapper. C’est le seul ordre que nous ayons reçu », a indiqué le témoin P-010. Cette femme n’a pas précisé si M. Ntaganda avait mentionné la manière de traiter les civils.
Toutefois, Il a également été entendu que M. Ntaganda avait ordonné l’exécution d’un de ses soldats qui avait tué un civil à Mongbwalu. Le témoin P-8059 a indiqué que, le jour où son frère avait été abattu, Thomas Kasangaki, qui commandait les troupes des FPLC à Mongbwalu, avait envoyé des soldats au domicile de la personne décédée. Les soldats ont demandé au témoin et à sa famille s’ils avaient besoin d’aide comme de la nourriture pour les personnes en deuil.
Selon le témoin, les soldats avaient expliqué que quiconque tuait, il serait « traité de la même façon ». Les miliciens des FPLC avaient également indiqué à la famille que le soldat qui avait abattu leur proche était arrêté et que son exécution était en attente des ordres de M. Ntaganda. Le témoin a déclaré que le soldat avait été exécuté le lendemain.
Le témoin P-0901, un ancien membre des FPLC, a témoigné sur la structure et les opérations du groupe, notamment le rôle central que M. Ntaganda avait joué en tant que chef adjoint de l’état-major chargé des opérations militaires et de l’organisation. Il a déclaré que M. Ntaganda avait conservé un système de communication à son domicile, ce qui lui avait permis de communiquer avec tous les commandants régionaux de l’UPC. Le témoignage d’un autre ancien membre a indiqué que le groupe utilisait des radios à courte portée Motorola et Kenwood ainsi que des téléphones satellites Thuraya. Ils avaient également des stations de base de téléphonie qui pouvaient être utilisées pour communiquer à longue distance et qui pouvaient crypter des messages.
Mais les juges du procès Ntaganda ont également entendu que leFront des nationalistes et intégrationnistes(FNI), qui avait pris le contrôle de la ville de Sayo après l’occupation des FPLC, avait imposé des « conditions difficiles » aux habitants. Le témoin P-886 a déclaré que la milice du FNI n’avait pas permis aux habitants de boire de l’alcool, avait forcé les femmes à se promener seins nus et avait « puni ou fouetté » ceux qui qui ne se conformaient pas à leurs décrets. En décembre 2012, les juges de la CPI avaient acquitté Mathieu Ngudjolo, un ancien chef du FNI, de trois chefs de crimes contre l’humanité et de sept chefs de crimes de guerre.
L’utilisation des mesures de protection
Jusqu’à présent, quatre des témoins ayant déposé au procès ont bénéficié de mesures de protection, notamment d’une déformation numérique de la voix et du visage lors des diffusions publiques de leur témoignage ainsi que de l’usage fréquent de séances à huis clos afin de protéger leurs identités. Deux témoins se sont vus accorder des mesures de protection partielles.
Malgré le fait d’avoir bénéficié de l’ensemble des mesures de protection et d’être caché de la vue de M. Ntaganda dans la salle d’audience, le témoin P-010 n’a pas témoigné le premier jour de sa comparution. Cette femme a systématiquement refusé de répondre aux questions que lui a posé l’accusation. Après avoir indiqué au psychologue de soutien assis près d’elle dans la salle d’audience qu’elle était dans une « situation délicate » du fait d’être dans la même pièce que l’accusé, M. Ntaganda a accepté de quitter la salle d’audience et de suivre le procès à distance.
En août 2015, les juges ont décidé que 11 témoins qui avaient bénéficié de mesures de protection en audience lors de leur témoignage apporté au procès Lubanga pourront avoir les mêmes protections au procès Ntaganda. L’accusation a déclaré que ces protections étaient nécessaires. Elle a mentionné la situation des témoins en matière de sécurité et a affirmé que six d’entre eux participaient au programme de protection des témoins de la CPI.
Les avocats de la défense ont soutenu que ces mesures empêcheraient les juges de chercher à établir la vérité puisque le fait de dissimuler l’identité du témoin au public pouvait diminuer son engagement à dire la vérité.
Les audiences du procès devraient reprendre mi-janvier 2016.