Fatou Bensouda, procureur de la Cour pénale internationale (CPI), a demandé aux juges d’émettre un avis sur une modification potentielle des faits à l’origine des charges retenues à l’encontre du chef rebelle congolais Bosco Ntaganda.
Selon Mme Bensouda, les juges devraient envisager que la qualification juridique des faits dans l’affaire Ntaganda soit modifiée en un mode de responsabilité additionnel de « coauteur direct ».
Dans son observation du 9 mars 2015, Mme Bensouda a déclaré que l’ensemble des crimes pour lesquels M. Ntaganda est poursuivi en tant qu’auteur direct faisait partie ou était la conséquence d’un plan commun avec une ou plusieurs personnes. En conséquence, il serait possible que la chambre de première instance envisage et établisse un mode de responsabilité alternatif « étant donné le chevauchement des éléments de co-perpétration directe et indirecte ainsi que du fait de la proximité des coauteurs des crimes, y compris la commission par eux-mêmes ».
Ntaganda est accusé de 18 chefs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité devant le tribunal international. Les crimes présumés ont été commis en 2002-2003 lors du conflit ethnique de la province d’Ituri, au Congo, lorsqu’il aurait occupé le poste de sous-chef d’état-major des Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC). En mars 2012, le chef du groupe, Thomas Lubanga, a été reconnu coupable de conscription, d’enrôlement et d’utilisation d’enfants de moins de 15 ans dans un conflit armé et condamné à une peine de 14 ans de prison.
À l’étape préliminaire, les juges ont estimé qu’il y avait suffisamment de preuves indiquant que M. Ntaganda avait commis, avec d’autres personnes, les 18 crimes bien que d’autres personnes, y compris des membres des FPLC, et que, par conséquent, « il portait la responsabilité pénale en tant que coauteur indirect et non en tant que coauteur direct ».
Alors que la chambre préliminaire était également persuadée que M. Ntaganda, en tant qu’auteur direct, avait commis physiquement certains des crimes présumés, l’accusation a soutenu que les juges de première instance « n’avaient pas défini les éléments requis pour une co-perpétration directe ».
Le procureur a, de plus, argué que la chambre n’avait pas concilié son approche avec l’existence d’un accord ou d’un plan commun entre l’accusé et au moins un autre coauteur. Elle a indiqué que la chambre n’avait pas pris non plus en considération le fait que l’accusé avait contribué au plan commun supposé ou qu’il avait l’intention d’y participer et qu’il avait conscience de ses conséquences.
« La co-perpétration directe n’est pas limitée aux cas d’exécution physique d’un élément du crime », a indiqué Mme Bensouda.
Bien qu’un avis d’une possible requalification des charges puisse être émis à tout moment du procès, l’accusation a soutenu que le fait de le délivrer plus tôt aurait garanti qu’aussi bien l’accusation que la défense « présentent leurs éléments de preuve et examinent les témoins avec une pleine connaissance de la possibilité que la conduite de l’accusé puisse être requalifiée en co-perpétration directe ».
Elle a, en outre, ajouté que cela permettrait à la chambre de considérer les preuves à la lumière d’un mode de responsabilité additionnel tel qu’il a été déposé et non rétroactivement. Le procureur a également argué qu’un avis délivré plus tôt aurait permis d’éviter de prolonger la durée du procès en raison des ajournements, du rappel des témoins ou de l’appel de nouveaux témoins.
La règle 55 du Règlement de la Cour prévoit qu’une chambre de première instance puisse modifier la qualification juridique des faits de crimes ou le formulaire de participation de l’accusé sans dépasser les faits et les circonstances décrits dans les charges. L’avis d’une possibilité de modification peut être émis à tout moment de la procédure. Les parties et les participants peuvent bénéficier de l’opportunité de faire des observations orales ou écrites ainsi que du temps adéquat pour préparer les questions découlant de la modification proposée.
Dans le procès en cours de Jean-Pierre Bemba, les audiences ont été suspendues pendant plusieurs semaines à la suite de l’émission par les juges d’un avis relatif à une modification potentielle de la qualification juridique du mode de responsabilité de l’accusé. La défense s’est opposée à toute requalification dans une phase du procès qu’elle a qualifiée de tardive.
Le procès de M. Ntaganda devrait s’ouvrir le 2 juin 2015.