Radhika Coomaraswamy, ancien rapporteur spécial des Nations Unies sur la violence contre les femmes et ancien représentant spécial du secrétaire général sur les enfants et les conflits armés, ne témoignera pas au procès de Bosco Ntaganda. Son rapport sur la conscription, l’enrôlement et l’utilisation d’enfants soldats dans un conflit armé ne sera également pas admis en tant qu’élément de preuve.
Dans une décision du mois février 2016, les juges avaient reconnu l’expérience et l’expertise de Mme Coomaraswamy mais avaient conclu que son témoignage proposé relevait de « la compétence propre de la Chambre ». Concernant son rapport, que les procureurs cherchent à verser aux débats, les juges ont fait remarquer qu’il « donnait principalement des avis juridiques sur certains éléments des crimes imputés » et, en vue de garantir un procès concentré et efficace, il ne devrait pas être produit comme élément de preuve.
Mme Coomaraswamy est un des 13 experts témoins que les procureurs ont l’intention d’appeler pour témoigner contre M. Ntaganda, qui répond à 13 chefs de crimes de guerre et à 5 chefs de crimes contre l’humanité. Dans leur décision, les juges ont décidé que trois autres témoins experts, dont les témoignages avaient été remis en cause par la défense, pourraient témoigner au procès et avoir leurs rapports versés aux débats.
Mme Coomaraswamy a témoigné au procès de Thomas Lubanga qui s’est tenu devant la CPI en janvier 2010. Lors de son témoignage, elle a appelé à une justice pour les filles enfants soldats dans un conflit armé.
Les avocats de M. Ntaganda ont cependant contesté l’impartialité de Mme Coomaraswamy, affirmant que son rapport défendait une interprétation spécifique « des dispositions du Statut de Rome » relatives aux enfants soldats. De plus, la défense a soutenu que le rapport utilisait un langage qui n’était pas neutre comme on pourrait l’attendre d’un témoin expert. Selon la défense, Mme Coomaraswamy s’est éloignée « de manière significative » des instructions données par l’accusation en « apportant un avis juridique sur certains éléments des crimes imputés ».
En réponse aux objections de la défense, les procureurs ont souligné que, dans le procès Lubanga, la chambre de première instance avait tiré de Mme Coomaraswamy des indications générales sur le phénomène des enfants soldats « pour établir ses propres conclusions » sur la situation des mineurs dans l’Union des patriotes congolais (UPC). M. Lubanga était le chef de la milice alors que M. Ntaganda exerçait les fonctions de chef adjoint de l’état-major lors du conflit armé de 2002-2003 qui a ravagé la République démocratique du Congo.
En rejetant la demande des procureurs d’appeler l’ancien fonctionnaire de l’ONU et de soumettre son rapport comme preuve, la Chambre a affirmé qu’elle conservait le pouvoir discrétionnaire « d’évaluer » les compétences de l’expert proposé bien que cette personne ait déjà témoigné en tant qu’expert dans d’autres affaires devant la CPI.
Entretemps, concernant Kambayi Bwatshia, les juges ont souligné que, en se basant sur son curriculum vitae (CV), il « semble avoir une longue expérience », s’est engagé dans la recherche et a été consultant sur des questions relatives au noms, à l’enregistrement de l’état civil, aux structures familiales et aux dates de naissance au Congo. La Chambre a, par conséquent, décidé qu’il pouvait témoigner en tant que témoin expert.
La défense a argué que Kambayi Bwatshia n’avait pas démontré des connaissances et une expertise scientifiques pertinentes sur les aspects administratifs, culturaux et sociaux de la vie dans la région d’Ituri, au Congo. Le témoignage de l’expert aurait par conséquent « une valeur probante marginale ».
Les juges ont également décidé que le Dr Lynn Lawry, une épidémiologiste et Maeve Lewis, une psychothérapeute, pouvait témoigner en tant qu’experts. La défense a contesté le rapport du Dr Lawry sur les violations des droits de l’homme commises par l’UPC en Ituri en 2000-2005 car il s’appuie sur des données hors de la période des charges portées à l’encontre de M. Ntaganda. Les juges ont décidé que le Dr Lawry, dénommé également témoin P453, avait des « compétences suffisantes » et que son rapport, notamment les informations sur la période en dehors de celles des charges, pouvait être utile à la Chambre.
Les procureurs ont proposé d’appeler Mme Lewis, dénommée également témoin P938, pour témoigner sur les conséquences des traumatismes en ce qui concerne quatre témoins de l’accusation. Les avocats de M. Ntaganda ont remis en cause ce témoin expert au motif qu’il avait donné un avis sur la crédibilité des témoins de l’accusation, qui dépasse les termes de l’expertise demandée par l’accusation et qui porte atteinte au rôle de la Chambre dans la détermination de la crédibilité des témoins dans le procès.
Les juges ont toutefois décidé que le rapport d’évaluation de Mme Lewis sur quatre témoins de l’accusation, des victimes présumées de violence sexuelle ou d’autre violence lors des évènements en Ituri, qui expose les préjudices et les conséquences psychologiques était pertinent. Les juges ont néanmoins partagé l’opinion de la défense concernant l’avis de Mme Lewis sur la crédibilité des témoins. Ils ont affirmé qu’ils « ignoreraient » ces conclusions dans le rapport et que son témoignage en audience ne devra pas aborder ces aspects, à savoir si les symptômes et les réponses des témoins en question étaient ou non conformes à celles de personnes ayant vécu ce type d’évènements.
Les témoins experts sont des personnes qui, de par une connaissance, une compétence ou une formation spécialisée, peut aider la Chambre dans la compréhension ou la détermination de questions techniques débattues dans les affaires jugées devant la CPI. Jusqu’à présent, un témoin expert, Robert Garretón, a témoigné au procès Ntaganda, qui s’est ouvert en septembre dernier.
Les juges entendent actuellement le témoignage du 14 ème témoin de l’accusation, qui s’est présenté à la barre le 23 février. Jusqu’à maintenant, presque la totalité de son témoignage a été entendue à huis clos.