Les avocats de M. Ntaganda ont critiqué le Bureau du procureur (BdP) pour avoir été au-delà des niveaux acceptables dans la préparation des témoins lors des séances préparatoires pour un témoin qui débutait sa déposition aujourd’hui.
« La manière dont la séance a été menée suscite des inquiétudes », a déclaré l’avocat de la défense Stéphane Bourgon au début des audiences de la journée dans le procès Ntaganda qui se tient devant la Cour pénale internationale (CPI).
Me Bourgon a précisé que les observations relatives à la préparation des témoins qu’il avait reçues de la part de l’accusation indiquaient que le BdP avait agit de manière inappropriée, puisqu’il semblait intéressé de « s’assurer » de ce que le témoin P963 déclarerait lors de son témoignage.
Le témoin P963 est un ancien membre de l’Union des patriotes congolais (UPC), la milice dans laquelle M. Ntaganda occupait les fonctions de chef adjoint de l’état-major. Il est la quinzième personne à témoigner contre M. Ntaganda, qui est jugé pour des crimes commis lors du conflit ethnique de 2002-2003 au Congo. Outre l’assurance de ne pas s’auto-incriminer, les juges ont accordé au témoin des mesures de protection, notamment une déformation numérique de la voix et du visage et l’utilisation d’un pseudonyme lors de son témoignage. L’essentiel du témoignage de sa première journée a été entendu à huis clos.
la défense a contesté le fait que l’accusation montre au témoin P963 une vidéo tournée dans un camp d’entraînement de l’UPC, lui fasse écouter des enregistrements audio des communications du groupe et lui demande s’il reconnaissait les documents ou pouvait « établir un lien » entre les documents et son témoignage.
Selon Me Bourgon, les documents n’ont pas été mentionnés lors des rencontres précédentes qui ont eu lieues entre le témoin P963 et l’accusation. Lors de la séance préparatoire, le témoin a déclaré qu’il ne pouvait reconnaître les communications. « Les documents peuvent facilement influencer le témoin », a indiqué Me Bourgon.
De plus, la défense a contesté le fait que l’accusation demande au témoin de lire et de confirmer l’exactitude de sa déclaration à « plus de 34 occasions » juste après qu’il ait apporté des corrections à la déclaration.
« Le témoin a lu ce document, a apporté des corrections et des clarifications qu’il pensait nécessaires, puis vous lui demandez encore de confirmer l’exactitude de telle ou telle partie ? », a interrogé Me Bourgon.
La préparation des témoins s’effectue avant que les personnes ne se présentent à la barre. Le processus consiste à guider les témoins dans les documents relatifs aux rencontres précédentes avec les fonctionnaires de la Cour. Les témoins ont également l’opportunité d’apporter des corrections et des clarifications aux déclarations enregistrées antérieurement.
Me Bourgon a déclaré que, d’après le rapport de préparation du témoin P963, le BdP avait montré au témoin les documents relatifs à sa précédente rencontre avec l’accusation et ses enquêteurs. L’avocat de la défense a indiqué que cela était acceptable puisque cela aiderait le témoin à se souvenir et à apporter un témoignage plus ciblé et, par conséquent, plus court. Toutefois, cette vérification par l’accusation durant la séance était « une manière indirecte de continuer les enquêtes sur le témoin », a ajouté Me Bourgon.
Le substitut du Procureur Julieta Solano a reconnu que la vidéo en question avait été réalisée au camp d’entraînement de l’UPC situé à Mandro et que c’était la première fois que le témoin la voyait. Elle a néanmoins indiqué que le fait de la montrer au témoin n’était ni inapproprié ni incompatible avec le règlement de la Cour.
Me Solano a cité le paragraphe 23 du protocole de préparation des témoins de la Cour qui prévoit que, lors des séances préparatoires, l’avocat qui mène l’interrogatoire peut « montrer au témoin les pièces potentielles présentées en audiences et lui demander de les commenter afin de déterminer leur utilité devant la Cour ».
« Nous lui avons demandé s’il reconnaissait des personnes et l’endroit présentés dans la vidéo et il a répondu par la négative … mais il a reconnu les armes », a-t-elle déclaré. Elle a précisé que la vidéo avait été visionnée par le témoin en mode silencieux et que l’accusation avait l’intention de l’interroger à son sujet.
Le juge président Robert Fremr a fait remarquer que, dans un certain nombre de cas, l’accusation avait attiré l’attention du témoin P963 sur certaines phrases et articles. Cependant, le juge Fremr a également souligné que les points sur lesquels le BdP avait attiré l’attention du témoin étaient principalement des questions techniques qui présentaient des erreurs.
Les juges ont décidé qu’un document pouvait être présenté à un témoin pour confirmer s’il pouvait le commenter lors du témoignage, à condition que le l’étendue du témoignage ne corresponde qu’à ce propos. « La chambre conclut que, dans le cas présent, il semble que cela ait été le cas », a affirmé le juge Fremr. Le juge a ensuite ordonné à l’accusation de poser des questions « neutres » pour « ne pas sembler mettre l’accent sur certaines questions spécifiques ».
Le témoin P963 poursuivra son témoignage demain matin.