L’expert judiciaire en psychologie John Charles Yuille a conclu son témoignage sur les traumatismes au procès Ntaganda qui se tient devant la Cour pénale internationale (CPI). La déposition du témoin expert avait pour objectif de permettre à la Chambre de comprendre le trouble de stress post-traumatique (TSPT) et les schémas mémoriels des individus ayant subi des traumatismes ainsi que de permettre aux juges d’évaluer les témoignages des victimes traumatisées en s’appuyant sur la compréhension des facteurs qui jouent un rôle dans la création de la mémoire.
Le Dr Yuille a déclaré que les mémoires des témoins ayant subi des traumatismes pouvaient prendre trois formes générales. Elles pouvaient être généralement précises, renfermer quelles inexactitudes dues à de mauvaises interprétations ou être largement erronées dans une tentative délibérée du témoin d’apporter une fausse représentation du passé. « Si une personne tente de dire la vérité et est correctement interrogée, la précision peut être de 80-85 pour cent », a-t-il indiqué mais il a ajouté que ces statistiques n’étaient pas applicables à certains témoins.
L’expert a indiqué que lorsqu’une personne présentait un TSPT, les symptômes n’étaient pas toujours évidents pour des non-professionnels. Il existait toutefois des signes qui pouvaient se manifester lorsqu’un témoin ayant un TSPT témoignait sur des événements traumatiques. « Les plus évidents sont la détresse, l’anxiété ou l’excitation. Si une personne présente un TSPT, cela signifie que l’impact traumatique de l’évènement n’a pas été réglé et que si elle rappelle la mémoire de l’évènement, il est fort probable que cela ramène un contenu émotionnel », a précisé le Dr Yuille. Cela se traduit par un témoin qui pleure, montrant des signes de détresse ou « se fermant d’un point de vue émotionnel ».
Lors de l’interrogatoire mené par Sarah Pellet, une avocate qui représente plus de 280 anciens enfants soldats participant au procès en tant que victimes, le Dr Yuille a déclaré qu’il y avait très peu de recherche sur l’adaptation psychologique des individus qui ont été forcés à participer à des évènements traumatiques sur une certaine période. « Ce que nous savons par ailleurs est que, pour survivre ou pour faire face à ces situations extrêmes, une adaptation doit se produire … et que l’impact de de ces actes doit diminuer », a-t-il expliqué.
Il a indiqué que l’adaptation ou l’ajustement pouvait prendre de nombreuses formes mais qu’il était probable qu’un certain changement devait survenir sinon la personne allait vivre dans un état de stress psychologique et physique extrêmement préjudiciable. Selon l’expert, dans le cas d’une personne violée par plusieurs violeurs, « il s’agit encore une fois d’un contexte extrême dans lequel un être humain doit trouver une manière de survivre ou de s’en sortir ».
Le premier jour de son témoignage, l’expert a expliqué que plusieurs facteurs affectaient les schémas mémoriels des individus ayant subi un traumatisme. Il a déclaré que certaines victimes pouvaient avoir des mémoires détaillées, nettes et assez précises tandis que d’autres pouvaient présenter une amnésie sans aucun souvenir du tout. Concernant le lien entre personnalité et réactions au traumatisme, il a indiqué que les individus« hypersensibles » étaient facilement traumatisées contrairement aux personnes qui étaient capables de mobiliser des ressources psychologiques et physiques pour gérer la source du traumatisme.
Le témoignage de psychologues a occupé une place de premier plan dans les procès de la CPI. Dans le procès de Jean-Pierre Bemba, une psychologue-conseil qui avait mené des évaluations psychologiques et cliniques de trois victimes de violence sexuelle en République centrafricaine a témoigné sur les modèles de traumatisme qu’elle a identifiés.
Précédemment, dans le procès de Thomas Lubanga, une psychologue avait indiqué que les témoins souffrant d’un TSPT éprouvaient des difficultés pour raconter leur histoire car se souvenir de ces moments traumatiques pouvait causer d’immenses souffrances pour les témoins. Les souffrances augmentaient en fonction de la gravité des symptômes traumatiques, a-t-elle précisé. Son témoignage permettra, à son avis, aux juges d’évaluer la crédibilité des témoins qui parlent rapidement, qui sont nerveux ou qui se comportent curieusement lors de leur témoignage. Elle a déclaré que, plutôt que des indices de mensonge, ces manifestations étaient une réaction normale lors de l’évocation d’évènements traumatisants.
Pour sa part, le Dr Yuille a conseillé aux juges de ne pas accorder trop d’attention aux variations concernant la date, l’endroit ou l’évènement indiqué par le témoin. L’avocat de la défense Christopher Gosnell a toutefois rétorqué qu’il était peu probable qu’un témoin parjure qui ment sciemment ou un témoin qui souffrait de perte de mémoire ne s’écartait pas de l’essentiel de son témoignage.
En réponse à une question de l’avocat de la défense, l’expert a déclaré qu’il n’avait connaissance d’aucun témoin souffrant d’un TSPT qui ait témoigné au procès Ntaganda.
« Votre témoignage ne saurait être compris comme un avis affirmant qu’aucun témoin dans cette affaire ne présente les schémas mémoriels que vous avez décrit ? », a demandé Me Gosnell. L’expert a répondu par la négative.
Ntaganda est accusé de 18 chefs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité qui auraient été commis lorsqu’il était le chef militaire adjoint de la milice des Forces patriotiques pour la libération du Congo. Les crimes supposés ont été perpétrés sur des civils de la province congolaise d’Ituri lors d’un conflit ethnique en 2002 et 2003.
Le procès se poursuivra lundi 26 avril avec le témoignage d’un nouveau témoin à charge.