Le site Justice Hub a publié un commentaire écrit par Maina Chamaka, une activiste des droits humains et avocate au Kenya. Dans son commentaire, Maina critique la décision de la CPI refusant d’octroyer des réparations aux victimes des crimes graves commis pendant les violences postélectorales qui auraient été orchestrées par le Vice-Président du Kenya, William Ruto, et le journaliste de radio, Joshua Arap Sang. Cela fait suite à une décision antérieure de la cour qui a mis fin prématurément aux poursuites à l’encontre des accusés, sans exclure de nouvelles poursuites à l’avenir.
En tant qu’acteur de la société civile ayant eu l’occasion d’interagir avec les victimes de crimes graves dans le nord de l’Ouganda, cette décision est une pilule amère. Cependant, en tant qu’avocate, je peux comprendre le raisonnement juridique des juges. L’article 75 du Statut de Rome est clair dans la mesure où il exige la condamnation de l’accusé avant de procéder à la question des réparations.
La réaction négative des activistes et des victimes met en relief le grand défi de la CPI— faire face à de grandes attentes quant à son rôle ! Souvent, les victimes espèrent plus de la CPI que des tribunaux nationaux à cause des défis auxquels ces derniers font face, par exemple la corruption, le manque d’indépendance et une capacité limitée pour juger les crimes graves. Le caractère international de la CPI, et le fait que celle-ci invoque régulièrement son engagement à mettre un terme à l’impunité des auteurs de crimes graves, mène les communautés de victimes à penser que le personnel de la CPI va mener des enquêtes approfondies, que les personnes les plus responsables seront traduites en justice, que les juges sont indépendants, que l’affaire du procureur va aboutir, et que des réparations seront octroyées.
Au contraire, la réalité est que la CPI n’est pas parfaite. Par conséquent ces attentes sont de simples suppositions. Voilà pourquoi, dans les pays où la CPI enquête, tels que l’Ouganda et la République démocratique du Congo (RDC), on entend souvent des critiques concernant l’absence des poursuites contre les auteurs gouvernementaux. Lors des séances de sensibilisation avec les communautés de victimes auxquelles j’ai participé dans le nord de l’Ouganda, l’espoir que l’intervention de la CPI mène à des réparations était toujours présent.
Même lorsque les réparations sont ordonnées, les retards dans la mise en œuvre des programmes entraînent des frustrations chez les victimes. Les victimes attendent toujours une décision sur les dans l’affaire de Thomas Lubanga ; cela plusieurs années après que la cour s’est prononcée sur la condamnation et suite à de nombreuses décisions. Les bénéficiaires de ce programme de réparation ne pouvaient pas imaginer que le processus prendrait aussi longtemps. En outre, puisque les réparations sont liées aux affaires portées par l’accusation, les programmes de réparation ne bénéficient qu’à un nombre limité de personnes.
Malgré ce bilan décevant, la CPI est toujours placée sur un piédestal. Les bénéficiaires dans les pays en situation s’attendent à ce qu’elle effectue son travail de manière impeccable. D’autres tribunaux internationaux chargés de juger des crimes de masse, tels que le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et la Cour spéciale pour la Sierra Leone, se sont confrontés à de pareilles exigences. Bien que la CPI puisse relever certains de ces défis en renforçant ses programmes de sensibilisation, elle ne sera jamais en mesure de répondre aux attentes démesurées des communautés de victimes.
Néanmoins, la cour doit continuer à œuvrer pour atténuer ces attentes. Par exemple, dès qu’elle intervient dans un nouveau pays, elle doit expliquer clairement son mandat aux communautés de victimes, à savoir ce qu’elle peut et ce qu’elle ne peut pas faire en tant qu’institution judiciaire. Cela ne devrait pas se faire a posteriori, suite aux obstacles rencontrés dans une affaire spécifique. Les séances de sensibilisation auxquelles j’ai assisté portaient souvent sur des questions générales telles que la participation des victimes et le rôle de la CPI par rapport aux processus de réconciliation. Les questions détaillées sur le processus de la réparation n’étaient pas abordées. Cela est compréhensible lors que les affaires sont encore en phase préliminaire. Cependant, l’expérience du Kenya met en évidence qu’il n’est jamais trop tôt pour aborder la question des réparations.
De même, la CPI ne doit pas cesser d’expliquer son rôle complémentaire aux juridictions nationales lorsqu’elle interagit avec des communautés et des partenaires sur le terrain. Cela pourrait mieux se faire par des séances de sensibilisation menées en collaboration avec des institutions judiciaires nationales chargées des poursuites. Les communautés pourraient ainsi participer à des débats conjoints avec les acteurs de la CPI et les acteurs nationaux. Cette méthodologie permettrait aux victimes d’avoir une meilleure compréhension des rôles et des limites de chaque institution.
Il est très important que la cour soit flexible dans son approche et ses méthodes de sensibilisation. Tandis que les juridictions nationales n’ont pas forcément besoin de prévoir des programmes de sensibilisation, la CPI ne peut y échapper. Elle doit mettre en œuvre ces programmes et constamment les renouveler, réexaminer et évaluer en partenariat avec les acteurs du terrain. Bien qu’il soit important d’adapter les programmes de sensibilisation aux contextes nationaux dans lesquels la Cour opère, l’équipe de sensibilisation de la cour doit constamment tirer des leçons de son expérience dans d’autres pays. Au vu de la décision de la chambre de première instance concernant la réparation des victimes de crimes graves au Kenya citée plus haut, des retards dans l’exécution des programmes de réparation en RDC, le programme de sensibilisation de la Cour dans d’autres pays, tel que l’Ouganda dont les affaires sont encore dans une phase initiale, devrait prioriser l’organisation d’entretiens francs avec les communautés de victimes sur la question spécifique de la réparation.
Il est important d’insister sur le besoin d’une approche conjointe de tous les organes de la CPI lorsqu’il s’agit de la sensibilisation afin de communiquer de manière coordonnée sur les questions soulevées par les communautés de victimes, ainsi qu’afin de permettre à ces dernières de s’entretenir directement avec les équipes engagées dans des différentes procédures. La CPI devrait renoncer à envoyer son personnel basé à La Haye pour une participation simplement ponctuelle à des séances de sensibilisation.
La majorité des victimes voit souvent l’intervention de la CPI comme appropriée et nécessaire. Aussi placent-elles tous leurs espoirs dans l’institution. La dure réalité les frappe lorsqu’elles réalisent que, tout comme les juridictions nationales, la CPI a ses limites et n’est pas en mesure de leur fournir toutes les réponses et la justice qu’elles attendent.
Le cycle de faux espoirs se poursuit ainsi dans chaque nouveau pays ou la CPI intervient.