Un ancien enquêteur des Nations Unies (ONU) en République démocratique du Congo a raconté que les deux camps engagés dans le conflit ethnique de ce pays, qui s’est déroulé en 2002 et 2003, étaient impliqués dans les meurtres et pillages.
« Les civils étaient tués par les deux camps. Les pillages étaient commis par tout le monde, par les combattants mais aussi par la population qui a profité de la situation », a déclaré Sonia Bakar qui dirigeait l’unité chargée des enquêtes au sein de la section des droits de l’homme de l’ancienne mission des Nations Unies au Congo (MONUC).
Témoignant au procès de l’ancien chef rebelle Bosco Ntaganda qui se tient devant la Cour pénale internationale (CPI), Mme Bakar a indiqué que près de 250 personnes avaient été tuées dans différentes attaques menées par les troupes de l’accusé sur Mongbwalu et Bunia dans la province d’Ituri. Ses enquêtes ont également constaté des preuves impliquant les combattants de l’Union des patriotes congolais (UPC) de M. Ntaganda dans au moins 18 cas de viol durant les attaques qui s’étaient déroulées entre novembre 2002 et mars 2003.
Elle a précisé que les attaques avaient été menées sur des villes majoritairement habitées par des membres de l’ethnie Lendu. « L’UPC a bombardé les villages Lendu sans faire de distinction entre les combattants armés et les civils. Ils ont organisé des chasses à l’homme pour les Lendu et pour les autres personnes considérées comme des opposants. Ils ont également commis des viols à grande échelle, abusant parfois de jeunes filles de 12 ans », a ajouté le témoin.
Mme Bakar, qui a interrogé plusieurs victimes et témoins de ces crimes, a précisé que certains d’entre eux avaient affirmé que, dans les villes de Mongbwalu et Bunia, M. Ntaganda avait commandé directement certaines des opérations dans lesquelles des civils avaient été agressés. Elle a cependant déclaré que des combattants Lendu et leurs alliés ougandais, les Forces de défense du peuple ougandais (UPDF), étaient responsables de certains crimes.
Mme Bakar, qui a conclu son témoignage le 7 février, a été en grande partie contre-interrogée par la défense sur les attaques présumées lors de séances à huis clos. Selon les rapports d’enquête de son équipe, que les procureurs ont admis en tant qu’éléments de preuve, des crimes généralisés avaient été signalés, notamment des massacres, des viols, des enlèvements, des pillages et des destructions dans la région d’Ituri, dont un grand nombre avait été attribué aux troupes de l’UPC.
Entretemps, la 69ème personne appelée à témoigner à l’encontre de M. Ntaganda s’est présentée à la barre mardi après-midi. Dans une décision rendue oralement hier, les juges ont accordé au témoin P857 des mesures de protection, notamment l’utilisation d’un pseudonyme et la déformation numérique de la voix et du visage lors de la diffusion publique de son témoignage, bien qu’ils aient critiqué le fondement de l’affirmation de l’accusation selon laquelle le témoin était confronté à des risques de sécurité.
Les juges ont déclaré que l’accusation n’avait apporté aucun « fondement objectif » pour soutenir que le témoin était confronté à des représailles s’il témoignait en public. Ils ont indiqué que le seul document fourni par l’accusation en appui de sa demande de mesures de protection n’était basée « que » sur la propre évaluation du témoin.
Les juges ont néanmoins précisé qu’ils étaient convaincus qu’un risque justifiait des mesures de protection, en se basant sur une évaluation de l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins (VWU) relative à la localisation du témoin P857 et au risque potentiel accru si son identité était connue du public.
Selon la demande de mesures de protection faite par l’accusation, le témoin P857 est un civil Lendu qui a assisté aux attaques de l’UPC sur les villes de Kobu et de Bambu et qui témoignera sur les morts résultant des attaques.
Les avocats représentant M. Ntaganda se sont opposés à la demande de mesures de protection déposée par l’accusation, soutenant que le témoin P857 n’avait pas exprimé initialement d’inquiétudes mais avait seulement demandé ces mesures après que les procureurs l’aient informé de leur existence.
Ntaganda est jugé pour des crimes commis par lui-même et par les combattants de l’UPC qui appartenaient majoritairement à l’ethnie Hema. Les procureurs ont déclaré que M. Ntaganda et l’UPC visaient les communautés ethniques rivales, en particulier les Lendu. Les procureurs ont également soutenu que, sous le commandement de M. Ntaganda, l’UPC utilisait le viol pour persécuter et terroriser les civils pendant les hostilités. L’accusé aurait abattu en personne un prêtre à Mongbwalu. M. Ntaganda a nié l’ensemble des charges retenues à son encontre, arguant qu’il avait lutté pour le retour à la paix et la réinstallation des réfugiés.
Le ‘témoin P857 poursuivra sa déposition demain matin.