Simone Gbagbo, épouse de l’ancien chef d’Etat Ivoirien Laurent Gbagbo était poursuivie par la justice ivoirienne depuis dix mois pour des crimes contre l’humanité, après sa condamnation à 20 ans d’emprisonnement en 2016 pour des faits d’atteinte à la sûreté de l’Etat durant la crise post-électorale de 2010-2011 en Côte d’Ivoire. Depuis février 2012, elle fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) pour quatre chefs de crimes contre l’humanité pour des faits qui auraient été commis lors de la période post-électorale. La Côte d’Ivoire a refusé de la transférer car elle considérait que Mme Gbagbo pouvait être jugée au niveau local pour les mêmes faits. Dans le même temps, son époux Laurent Gbagbo et le leader de la jeunesse de leur mouvance politique, Charles Blé Goudé, sont en procès devant la CPI depuis le 28 janvier 2016.
Contre toute attente, le procès s’est étalé dans le temps, allant de report en report, émaillé par des épisodes d’impasse dans la procédure. La décision rendue pourrait être interprétée de deux façons.
D’une part, la procédure semble avoir été conduite de manière expéditive et bien souvent non contradictoire, comme dénoncé par les avocats de la défense de Mme Gbagbo et des organisations de défense des droits de l’homme. Les avocats de la défense, après avoir dénoncé de nombreuses atteintes aux droits de la défense, se sont finalement retirés de la procédure en fin 2016. Les avocats commis d’office, se sont eux aussi retirés de la procédure en février 2017, dénonçant entre autres le non-respect des droits de la défense, la non communication de pièces dans les délais, et le refus de la cour d’auditionner certains témoins clés proposés par la défense.
D’autre part, la décision rendue acquittant Simone Gbagbo pourrait faire croire que le dossier d’accusation était mal monté et mal ficelé, avec des témoignages contradictoires et insuffisants vu la gravité des crimes reprochés. Dans ce contexte, compte tenu du fait que la charge de la preuve revient à la partie accusatrice et le principe général de procédure pénale qui veut que le doute profite toujours à l’accusé, les juges ont naturellement penché pour un acquittement.
Il faut donc saluer la décision de cette juridiction qui a su ne s’en tenir qu’au droit et aux preuves présentées. Ceci serait du reste un gage d’indépendance des magistrats qui composaient la cour, là où plusieurs observateurs y craignait un procès entaché de manque d’indépendance et impartialité.
Dans ce sens, il est incompréhensible que certains observateurs parlent d’un échec dans la lutte contre l’impunité. Une telle analyse présupposerait que l’objet de ce procès était de condamner systématiquement l’accusée, nonobstant les principes de la présomption d’innocence et du procès équitable.
Dans ce lot d’interrogations juridiques, une question demeure toujours à l’esprit. Quel est l’impact de cette décision d’acquittement sur les poursuites voulues par la CPI à l’encontre de Simone Gbagbo ?
Au prononcé du verdict, la CPI, à travers son porte-parole, a estimé le 30 mars 2017, que cette décision n’avait aucun impact sur le mandat d’arrêt de février 2012 car les faits visés étaient différents. Il a en outre rappelé à la Côte d’Ivoire son obligation de coopérer avec la cour en transférant Simone Gbagbo à La Haye.
Une telle position mérite que l’on s’y arrête. Les faits visés par le mandat lancé par la CPI contre Simone Gbagbo se sont déroulés dans la même période et dans les mêmes circonstances que les faits qui ont été examinés pendant la procédure qui a conduit à son acquittement en Côte d’Ivoire. Il s’agit, entre autres, de la marche réprimée de l’opposition le 16 décembre 2010 devant la Télévision nationale, du bombardement du marché d’Abobo qui a conduit au meurtre de sept manifestantes civiles le 8 mars 2011, et des violences sexuelles commises par des soldats pro Gbagbo. Depuis 2013, les autorités ivoiriennes s’étaient même opposés au mandat d’arrêt émis par la CPI contre l’accusée, au motif que la même affaire était déjà pendante devant la justice ivoirienne.
En effet, les juges de la CPI avaient finalement tranché en décembre 2014 que le niveau de responsabilité et les éléments constitutifs des crimes étaient différents et que la Côte d’Ivoire avait toujours l’obligation de transférer Simone Gbagbo à la CPI, décision confirmée en appel en mai 2015.
Or, il est un principe fondamental de droit pénal général (« ne bis in idem ») qui interdit de juger une personne à nouveau pour les mêmes faits pour lesquels elle a déjà été jugée. Ainsi, un transfèrement et un jugement de Simone Gbagbo à la CPI serait préjudiciable à la bonne administration de la justice et aux intérêts des parties. Ainsi, suite à la décision d’acquittement, la Côte d’Ivoire pourrait contester à nouveau devant les juges de la cour la recevabilité de l’affaire, en démontrant que le jugement intervenu en Côte d’Ivoire visait les mêmes faits, le même niveau de responsabilité, et que procédures ont été fiables.
Il aurait fallu, dès le premier abord, mettre en place un cadre détaillé de coopération et de complémentarité entre la CPI et les poursuites au niveau national afin d’assurer une accusation effective. Faute de l’avoir fait, il aurait été plus simple pour la Côte d’Ivoire de transférer Simone Gbagbo devant la CPI dès l’émission du mandat d’arrêt.
Par ailleurs, cette décision d’acquittement pourrait être vue différemment, notamment avec des implications politiques tenant au contexte actuel.
Il n’est pas à perdre de vue que les faits se passent bien en Côte d’Ivoire et qu’il faille aussi tenir compte de l’environnement sociopolitique qui n’a pas toujours été étranger aux options prises par les différents gouvernements, notamment en matière de justice post crise.
A présent, l’actualité judiciaire serait en train de s’aligner sur le vent de la réconciliation que les ivoiriens appellent de tous leurs vœux.
En effet, à la suite de la crise post-électorale, tous les observateurs s’accordaient que les responsabilités étaient partagées entre les deux camps qui se sont affrontés : forces dites ‘’pro Gbagbo’’, et forces dites ‘’pro Ouattara’’. Paradoxalement, la quasi-totalité des poursuites engagées au niveau national ne visaient que les personnes dites ‘’pro Gbagbo’’ et épargnaient les ‘’pro Ouattara’’ sur qui des motifs d’enquête et de poursuite ne manquaient pas pour autant.
Suite à des négociations politiques intervenues après le dialogue politique entre le pouvoir et l’opposition en 2013 et 2014, la justice ivoirienne avait procédé curieusement à des libérations provisoires d’acteurs politiques et à des acquittements de personnalités politiques fortement impliquées dans ce dialogue, en vue de favoriser un apaisement des tensions.
Dans le même ordre d’idées, l’acquittement de Simone Gbagbo pourrait être perçu comme un acte commandité en vue de favoriser également l’apaisement face à des tensions politiques. Cette décision, de même que le refus de transférer Simone Gbagbo à la CPI pourraient s’analyser en une décision politiquement influencée en vue de contenter les tenants de l’opposition politique et donner une chance à la réconciliation nationale. Dans le même temps, il pourrait s’agir d’une décision visant à donner des signaux forts de réconciliation permettant de taire les clameurs demandant l’arrestation et le jugement de personnes proches du pouvoir actuel et qui ne font l’objet d’aucune poursuite pour le moment.
Dans un contexte où le sentiment de justice des vainqueurs est largement répandu et où une bonne partie des populations ivoiriennes dans leur ensemble ne semblent pas faire confiance à la justice et réclament des poursuites, une décision judiciaro-politique comme celle-ci viendrait calmer des ardeurs, surtout à l’approche des prochaines échéances électorales de 2020. Ce serait sans doute une belle porte de sortie pour le Président Ouattara, qui n’est pas candidat à sa succession.
Pour l’heure, les ivoiriens attendent des poursuites équitables à l’encontre de toutes les parties au conflit, en vue situer les responsabilités et parvenir sereinement à la réconciliation nationale.
Eric-Aimé Semien est le président de l’Observatoire Ivoirien des Droits de l’Homme (OIDH). Les vues et opinions exprimées dans ce commentaire ne reflètent pas nécessairement les vues et opinions de l’Open Society Justice Initiative.
L’Observatoire ivorien des droits de l’homme (OIDH) a observé l’ensemble du procès grâce au soutien de TrustAfrica et de American Jewish World Service.