Le témoignage imminent de Bosco Ntaganda devant la Cour pénale internationale (CPI) a mis en lumière certaines questions litigieuses sur les procédures au titre desquelles une personne accusée peut témoigner pour sa propre défense. Parmi les questions controversées figure le fait de savoir si les procédures de préparation des témoins de la Cour s’appliquent à l’accusé ainsi que les propositions de l’accusation pour interdire les communications entre l’accusé et ses avocats pendant la durée de son témoignage et pour empêcher les témoins de la défense de suivre le témoignage de M. Ntaganda « de quelque manière que ce soit ».
Le 17 mai 2017, les juges ont accédé à la demande de la défense pour que M. Ntaganda témoigne pour sa propre défense, avec un témoignage qui devrait durer jusqu’à six semaines et débuter le 14 juin. L’ancien chef rebelle est jugé devant la CPI depuis septembre 2015 pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité qui auraient été commis par lui-même et par ses soldats de l’Union des patriotes congolais (UPC) pendant un conflit ethnique qui s’est déroulé dans la province congolaise d’Ituri en 2002 et 2003.
Dans une requête aux juges datant du 26 mai, l’accusation a soutenu qu’il était nécessaire de mettre en place différentes garanties avant que M. Ntaganda ne se présente à la barre afin de préserver l’intégrité de la procédure et d’éviter qu’il n’influence directement ou indirectement la déposition d’autres témoins de la défense.
Cependant, dans des observations orales soumises le 31 mai, l’avocat principal de la défense Stéphane Bourgon s’est élevé contre la suggestion de l’accusation pour que les sessions de préparation de la défense avec M. Ntaganda soient enregistrées et que les registres et les notes de préparation soient divulgués. Il a souligné que les consultations entre M. Ntaganda et ses avocats étaient protégées par le secret professionnel.
Concernant la demande de l’accusation d’interdire les communications entre M. Ntaganda et l’équipe de défense pendant la durée de son témoignage, Me Bourgon a soutenu que les droits fondamentaux de l’accusé, notamment la consultation d’un avocat « à toutes les étapes de la procédure », devaient être respectés.
« Dans les affaires jugées devant cette Cour, lorsqu’un accusé décide de témoigner, les communications entre l’accusé et la défense ne sont pas suspendues », a affirmé Me Bourgon. « Nous demandons par conséquent à la Chambre d’autoriser les consultations entre l’accusé et la défense à toutes les étapes de son témoignage », a-t-il ajouté.
Selon les règles et procédures de la Cour, les contacts entre un témoin et la partie appelante sont limités à partir du moment où le témoin débute son témoignage et jusqu’à son terme, à l’exception de contacts devant la Cour lors de son interrogatoire. Les témoins n’ont pas l’autorisation de discuter avec quiconque de leur témoignage pendant la durée de leur comparution devant la Cour. L’accusation a affirmé qu’il n’y avait aucune raison pour que cette interdiction de discuter avec quiconque de son témoignage ne soit pas appliquée à M. Ntaganda.
Dans ses observations, Me Bourgon a cité la jurisprudence de la Chambre jugeant le procès de Germain Katanga et de Mathieu Ngudjolo Chui ainsi que celle des procès jugés par le Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY). D’après lui, dans ces procès, les juges ont statué qu’un accusé ne pouvait pas être considéré comme un témoin et que l’application de certaines règles pour les témoins à des personnes accusées serait « incompatible » avec leurs droits.
Entretemps, l’accusation a également demandé aux juges d’ordonner à la défense d’informer ses témoins qui doivent comparaître après le témoignage de M. Ntaganda de ne pas prendre connaissance de son témoignage, que ce soit en l’écoutant, en regardant le procès en ligne ou encore en étant présent à une audience. Me Bourgon a déclaré qu’il n’était pas très « pratique » pour la défense de prendre de telles mesures concernant plus de 100 témoins attendant de comparaître.
Soulignant que l’accusé avait le droit à un procès publique, Me Bourgon a suggéré que « Si un témoin décide de suivre le procès, c’est son choix comme celui de n’importe quel membre du public ». Il a indiqué que M. Ntaganda avait l’intention de témoigner principalement en séance publique et a rejeté les propositions de l’accusation pour que des parties du témoignage de M. Ntaganda soient entendues à huis clos afin d’éviter que les témoins de la défense qui doivent comparaître ne soient influencés par son récit.
Seul un témoin de la défense a comparu depuis le début de la présentation des moyens de la défense lundi dernier. Bien que M. Katanga et M. Ngudjolo aient témoigné tous les deux pour leur défense, ils se sont présentés à la barre après que leurs témoins aient apporté leur déposition, vers la fin de leur procès.
Néanmoins, les avocats de la défense ont été d’accord avec les affirmations de l’accusation selon lesquelles il ne fallait pas débattre avec M. Ntaganda de la liste des documents sur lesquels la défense s’appuie pour son contre-interrogatoire. Me Bourgon a cependant déclaré que les obligations de divulgation de l’accusation pour l’ensemble des documents devait s’appliquer afin que « M. Ntaganda ne soit pas pris par surprise » par des questions sur des éléments non divulgués. La défense était également d’accord avec la demande de l’accusation pour que M. Ntaganda réponde à toutes les questions qui lui seront posées une fois que son témoignage aura commencé.
« À cet égard, ayant renoncé à son droit de garder le silence, M. Ntaganda est dans la même situation que les autres témoins et comprend que toutes ses réponses seront étudiées par les juges », a expliqué Me Bourgon.
L’accusation a également demandé aux juges d’interdire à M. Ntaganda de parler de son témoignage à des personnes qui ne soient pas tenues au secret professionnel pendant la durée de son témoignage et a ordonné à la défense de fournir la liste des éléments qu’elle avait l’intention d’aborder avec l’accusé lors de son interrogatoire principal 10 jours avant le début de son témoignage.
La décision sur la demande de l’accusation devrait être prononcée dans les jours qui viennent. Les audiences du procès devraient reprendre le mercredi 14 juin 2017.