L’ancien général de l’armée congolaise et chef rebelle Bosco Ntaganda s’est présenté mercredi à la barre des témoins devant la Cour pénale internationale (CPI) pour témoigner pour sa propre défense et a raconté comment le fait d’avoir assisté au génocide de 1994 qui s’est déroulé au Rwanda l’avait conduit à combattre en République démocratique du Congo. Le génocide rwandais a provoqué le massacre d’environ 800 000 personnes, majoritairement des membres du groupe ethnique Tutsi.
« J’ai fait partie de ceux qui ont mis un terme au génocide [rwandais] », a déclaré l’accusé de 43 ans qui répond de 18 chefs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. « J’étais jeune mais déjà dans l’armée …J’étais commandant de peloton et j’ai été témoin d’évènements horribles ».
« Le génocide a-t-il contribué à vous transformer en la personne que vous êtes aujourd’hui et, dans l’affirmative, de quelle manière ? », a demandé l’avocat de la défense Stéphane Bourgon.
« Je me souviens que lorsque nous avons mis fin au génocide au Rwanda, nos supérieurs nous avaient indiqué que [étant donné] ce que nous avions vu, s’adressant à ceux qui étaient soldats que nous devions, dans la mesure du possible, tout faire pour que cela ne se reproduise pas une nouvelle fois en Afrique et j’ai gardé cela à l’esprit où que j’aille », a déclaré M. Ntaganda. « Je me suis dit que je ne souhaitais pas voir d’autres communautés éprouver ce que ma communauté a subi ».
Témoignant en swahili, M. Ntaganda a indiqué être né le 5 novembre 1973 dans le district actuel de Musanze, au Rwanda, de parents congolais Tutsi. Il a abandonné ses études secondaires à 17 ans pour rejoindre les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR). Il a déclaré que le FPR, qui a été lancé depuis l’Ouganda en 1990, combattait pour renverser le gouvernement du Rwanda afin d’ouvrir la voie au retour de plusieurs Tutsis qui avaient été expulsés du pays en 1959.
Il a témoigné que lorsque le FPR avait lancé une rébellion, des rumeurs affirmaient que des Tutsis pouvaient être tués dans certaines parties d’Afrique centrale, notamment dans l’est du Congo. M. Ntaganda et d’autres jeunes Tutsis ont décidé de partir du Congo pour l’Ouganda afin de rejoindre le FPR puisque « nous préférons rejoindre l’armée plutôt que d’attendre que quelqu’un nous tue avec des machettes ».
M. Ntaganda a déclaré être de nationalité congolaise bien qu’il ait indiqué avoir des parents au Rwanda. Certains d’entre eux, dont des oncles et des tantes, ont été tués lors du génocide de 1994. Il a aussi indiqué que sa mère habitait actuellement au Rwanda.
Les juges ont permis à M. Ntaganda de témoigner pendant six semaines environ au procès qui s’est ouvert en septembre 2015, deux ans et demi après que l’ancien chef rebelle se soit présenté à l’ambassade américaine et ait demandé à être transféré à La Haye.
Plus tôt dans la journée, le témoignage de M. Ntaganda a été reporté après que ses avocats aient demandé un ajournement de la procédure. Ils se sont élevés contre le fait que l’accusé se présente à la barre alors qu’une décision de la Chambre d’appel sur une demande d’effet suspensif du rejet par les juges de première instance d’une requête de déposer une demande de non-lieu est en cours.
Les avocats de la défense ont également soutenu que les juges de première instance devaient statuer pour savoir si l’accusation pouvait utiliser les enregistrements audio, les transcriptions, les traductions et les journaux d’appel des communications de M. Ntaganda qui avaient été enregistrées au centre de détention de la Cour lors des enquêtes relatives à la subornation de témoins. Dans une décision antérieure rejetant une demande de la défense de suspendre le procès, les juges ont décidé que les procureurs ne pouvaient utiliser ces éléments pendant la présentation des témoignages de la défense sans l’autorisation des juges.
Dans une décision orale rendue cet après-midi, les juges ont rejeté une demande de l’accusation d’utiliser certains de ces éléments lors du contre-interrogatoire de M. Ntaganda. Concernant l’appel en cours, les juges n’ont pas considéré qu’une décision finale quant à l’appel était « nécessaire » avant le début du témoignage de M. Ntaganda. « La Chambre ne considère pas qu’il y ait aucune raison impérieuse d’ajourner le procès pour la raison invoquée par la défense », a affirmé le juge président Robert Fremr.
L’accusation s’est opposée à la demande de la défense d’un ajournement, ainsi que les avocats représentant les anciens enfants soldats. Le représentant légal des victimes des crimes ont toutefois soutenu la demande de la défense.
Entretemps, dans son témoignage, M. Ntaganda a également déclaré à la Cour qu’il était marié et qu’il avait sept enfants. Il a également indiqué que, en 2003, il était allé à l’encontre des diktats de l’Église adventiste du septième jour à laquelle il appartient et des croyances de son père en prenant une seconde épouse lors d’une tentative de réconcilier deux communautés ethniques en conflit. Il a ajouté que, à l’époque, les membres des Hema du nord et ceux des Hema du sud étaient en conflit et les tantes d’une fille allant à l’école la lui avaient offerte en tant qu’épouse pour promouvoir la paix entre les deux groupes.
M. Ntaganda a indiqué avoir payé une dot de huit vaches à la famille de la jeune fille mais qu’ils s’étaient séparés après qu’elle soit tombée enceinte d’un autre homme. M. Ntaganda a déclaré que la fille, dont il n’a pas mentionné l’âge, était restée avec sa mère après qu’ils se soient mariés mais qu’elle lui rendait visite occasionnellement.
Le témoignage de M. Ntaganda se poursuivra demain matin.