Après une pause de cinq semaines, les audiences du procès de Bosco Ntaganda qui se tient devant la Cour pénale internationale (CPI) ont repris lundi avec le témoignage du neuvième témoin de la défense, un ancien combattant de l’Union des patriotes congolais (UPC), la milice dans laquelle l’accusé était un commandant de haut rang. La présentation des moyens de la défense de M. Ntaganda, qui nie les 18 chefs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, s’est ouverte en juin dernier.
L’ancien milicien, qui témoigne sous le pseudonyme de témoin D017 attribué par la Cour, a fait l’objet de nombreuses demandes devant la chambre. En raison de difficultés non divulguées, il n’a pas été en mesure de comparaître le mois dernier devant les juges comme prévu. À ce moment-là, la défense a déclaré qu’elle n’était pas en mesure de terminer l’examen du témoignage du témoin D017 avant son renvoi à l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins de la Cour pour faciliter sa comparution devant la Cour.
Le témoin D017 témoigne avec des mesures de protection, notamment la déformation numérique de la voix et du visage lors des transmissions publiques des audiences. Les juges lui ont accordé des mesures de protection après que la défense ait affirmé que son lieu de résidence et sa profession supposaient des contacts fréquents avec une grande partie de la communauté locale qui avait « exprimé une réaction négative » à une collaboration avec la Cour et qu’il souffrait d’une maladie non divulguée.
La décision des juges a été également fondée sur une évaluation de la VWU, qui a conclu qu’en raison de « l’instabilité générale et l’augmentation de la violence dans la région d’Ituri et de certains facteurs de risques spécifiques au témoin », l’utilisation de mesures de protection en audience était recommandée.
L’essentiel de la déposition du témoin D017 a été entendue à huis clos. Hier, en séance publique, l’avocat de la défense Stéphane Bourgon a interrogé le témoin au sujet de son entraînement militaire au camp d’entraînement de l’UPC basé à Mandro. Le témoin D017 a déclaré que, malgré l’absence de documents permettant de vérifier l’âge des recrues, il n’y avait aucune recrue de moins de 18 ans dans le camp.
Il a relaté le cas de quatre personnes qui avaient été « rejetées » par les instructeurs de l’UPC du camp pour « ne pas avoir atteint l’âge requis ». Le témoin a également affirmé que les relations sexuelles entre recrues féminines et masculines, ainsi qu’entre recrues et instructeurs du camp, étaient « strictement interdites ». Parmi les charges auxquelles M. Ntaganda répond figurent l’utilisation d’enfants soldats dans un conflit armé ainsi que le viol et l’esclavage sexuel d’enfants soldats.
Plus tôt dans le mois, les procureurs avaient demandé aux juges d’ordonner la divulgation de « l’identité officielle du témoin D017, notamment une photographie d’identité claire ». Ils ont soutenu que la divulgation était nécessaire pour que l’accusation soit en mesure d’identifier le témoin avant son témoignage « afin de confirmer s’il est ou non la personne qu’il prétend ». L’accusation a également déclaré qu’elle avait besoin de connaître l’identité du témoin afin « d’enquêter de manière efficace » sur des aspects de son récit et du contexte pour le contre-interrogatoire.
Selon l’accusation, les efforts pour obtenir les documents d’identité du témoin par le biais des autorités congolaises ont été vains, les fonctionnaires affirmant qu’aucune personne ayant les renseignements biographiques du témoin n’apparaissait dans les registres correspondants.
« Étant donné la divulgation tardive par la défense du surnom du témoin D017 sous lequel il est connu dans cette affaire ainsi que l’incapacité à identifier le témoin dans les registres correspondants, il existe des raisons de penser que les informations fournies pour le témoin D017 sont incomplètes ou inexactes », a indiqué le procureur.
Les avocats de la défense se sont opposés à la demande de l’accusation, affirmant que les informations fournies au sujet du témoin étaient « suffisantes pour permettre à l’accusation de se préparer sérieusement » pour son contre-interrogatoire. La défense a ajouté que les renseignements d’identité fournies par le témoin D017 reflétaient précisément les informations indiquées sur sa carte électorale et que les soupçons de l’accusation étaient au contraire « spéculatifs et non fondés ».
Le 10 novembre 2017, les juges ont statué en faveur de la défense, affirmant qu’il n’y avait aucune obligation formelle, issue d’un cadre législatif, de fournir des documents d’identité ou des photographies des témoins. Ils ont également conclu que les informations fournies pour le témoin D017 étaient suffisantes pour permettre à l’accusation de se préparer pour son contre-interrogatoire.
Les juges ont toutefois rejeté la semaine dernière une demande de la défense d’admettre en tant qu’éléments de preuve la déclaration du témoin D017 enregistrée antérieurement. la défense a soutenu que la déclaration datée du 7 novembre 2017 « abordait certains événements qui pouvaient être considérés comme étant au cœur de questions centrales pour les poursuites engagées » contre M. Ntaganda. La défense a également estimé que, outre le fait que le récit de l’ancien milicien ait été corroboré par d’autres témoins, l’admission de la déclaration réduirait le temps passé en audience par le témoin D017.
L’accusation, tout en soulignant que la déclaration du témoin D017 contenait des questions contestées dans cette affaire, s’est opposée à la demande de la défense. Elle a soutenu que la déclaration avait trait aux actes, à la conduite et au comportement de M. Ntaganda pendant la portée temporelle des charges.
En effet, les juges ont conclu que les actions présumées de M. Ntaganda étaient fréquemment abordées dans la déclaration, notamment sa localisation à des moments précis, les ordres qu’il aurait donné ainsi que sa conduite en général. Soulignant que la déclaration avait été enregistrée après la conclusion du propre témoignage de M. Ntaganda devant la Cour et de nombreuses années après les événements, les juges ont décidé que la date de la déclaration « pouvait avoir un impact » sur sa fiabilité.
L’accusation débutera son contre-interrogatoire du témoin D017 vendredi matin.