La juge Ozaki renonce au poste d’ambassadrice pour continuer à siéger au procès Ntaganda
La juge Kuniko Ozaki a renoncé à sa nomination en tant qu’ambassadrice du Japon en Estonie afin de pouvoir rester à la chambre de la Cour pénale internationale (CPI) qui juge l’ancien chef rebelle congolais Bosco Ntaganda.
Le 23 avril, le ministre des affaires étrangères japonais a confirmé à la Présidence de la Cour la démission de la juge, dont la nomination en tant qu’ambassadrice devait prendre effet au début du mois prochain. Selon l’e-mail du ministre, la démission a été acceptée le 19 avril.
Une majorité des juges de la Cour avait voté au mois de mars que la juge Ozaki soit autorisée à continuer d’exercer en tant que juge à temps partiel dans le procès Ntaganda tout en exécutant ses fonctions diplomatiques. Cependant, les avocats de la défense avaient demandé une suspension du procès, arguant que la juge n’était plus apte à exercer au sein de la CPI.
L’avocat de la défense Stéphane Bourgon avait soutenu que, dans sa demande datant du 1er avril 2019, la nomination de la juge Ozaki en tant qu’ambassadrice la plaçait en violation de l’article 40(3) du Statut de Rome, qui empêche les juges de se livrer à toute autre activité de caractère professionnel.
On ignore si la démission de son poste d’ambassadrice stoppera les efforts des avocats de la défense d’obtenir sa récusation pour la suite de l’affaire Ntaganda. Le 30 avril, soit deux semaines après que la demande de la défense d’une suspension du procès soit rejetée par la Chambre de première instance, Me Bourgon a écrit une nouvelle fois à la Présidence, demandant aux juges de réexaminer leur décision antérieure permettant à la juge Ozaki de continuer à exercer ses fonctions dans le procès Ntaganda.
Il a estimé que le double rôle de la juge Ozaki affectera négativement la confiance en son indépendance en tant que juge étant donnée la « profonde incompatibilité » entre l’indépendance de la justice et une fonction exécutive. Il a cité l’article 40(2), qui prévoit que les juges n’exercent aucune activité qui soit incompatible avec leurs fonctions judiciaires ou qui fasse douter de leur indépendance.
Me Bourgon a ajouté : « La forte réaction du public aux récentes décisions renforce le bien-fondé de la perception selon laquelle le poste de la juge Ozaki en tant que diplomate japonaise et, par conséquent soumis aux instructions de son gouvernement, pourrait influencer sa volonté à participer à une décision impopulaire, comme un acquittement. »
Selon lui, la séparation des fonctions judiciaires et des fonctions d’exécution est tout particulièrement nécessaire car la CPI est une cour de juridiction pénale, traitant des affaires controversées qui impliquent souvent des intérêts d’États et la Cour doit garantir une apparence d’indépendance par rapport aux États parties contributeurs.
La juge Ozaki siège à la Chambre de première instance VI qui est en charge de l’affaire Ntaganda depuis sa constitution en 2014. Bien que son mandat en tant que juge de la CPI se soit conclu le 10 mars 2018, elle est restée en fonction pour siéger jusqu’à la conclusion du procès Ntaganda. Conformément à l’article 36(10) du Statut de Rome, un juge affecté à une chambre de première instance doit rester en fonction pour conclure tout procès ou appel dont les audiences ont déjà commencé. La décision des juges réunis en plénière lui a permis de rester siéger à la chambre jusqu’à la fin de la phase de détermination de la peine.
Le procès Ntaganda pour des crimes qui auraient été commis en République démocratique du Congo en 2002 et 2003 s’est ouvert en septembre 2015 et, en septembre dernier, la défense et l’accusation ont présenté leurs déclarations orales finales.
Le mois dernier, les juges ont décidé qu’une suspension du procès comme demandé par la défense n’était pas justifiée à ce stade avancé du procès, qui plus est, avant que les avocats de M. Ntaganda ne déposent une demande de récusation de la juge. Ils ont souligné que la juge Ozaki avait été nommée ambassadrice à une phase très tardive de la procédure, « plus d’un an et demi après la présentation des conclusions orales finales et, par conséquent, que cela n’affectait pas la gestion par la chambre du procès ou de l’audition des témoignages ».
Toutefois, les avocats de la défense ont également remis en cause la juge Ozaki pour manquement à divulguer le fait qu’elle avait été nommée ambassadrice lorsqu’elle avait demandé à devenir un juge à temps partiel. Ils ont soutenu que son manque de franchise à cet égard minait la confiance en son indépendance en tant que juge.
Dans leur dernier document, les avocats de M. Ntaganda ont affirmé que les juges, réunis en séance plénière, avaient le pouvoir de réexaminer les décisions qu’ils avaient déjà prises et que, dans le cas de la juge Ozaki, la nécessité d’un réexamen était particulièrement évident puisque deux juges qui avaient participé aux délibérations avaient été dispensés du fait d’un « risque évident » d’apparence de partialité. Les avocats de la défense ont également souligné qu’aucune observation n’avait été entendue de la part de la défense ou de l’accusation avant que les juges, réunis en séance plénière, n’approuvent la demande de la juge.