Les avocats de la défense de Bosco Ntaganda ont déposé une demande officielle pour que la juge Kuniko Ozaki de la Cour pénale internationale (CPI) soit disqualifiée de l’affaire de l’ancien commandant rebelle congolais. La demande de la défense fait suite à la nomination de la juge Ozaki en tant qu’ambassadrice du Japon et de la décision des juges réunis en plénière lui permettant d’exercer parallèlement les fonctions de juge à temps partiel dans le procès Ntaganda.
Selon l’avocat de la défense Stéphane Bourgon, la démission de la juge de son poste d’ambassadrice est insuffisante pour restaurer une apparence d’indépendance judiciaire ou d’impartialité de cette juge. « Bien au contraire, la juge Ozaki a exercé ses fonctions de diplomate japonaise pendant quelque temps, créant une association qui n’a pas été dissipée par sa démission ultérieure, notamment parce qu’elle a nié que sa démission était nécessaire pour restaurer son indépendance en tant que juge », a-t-il ajouté.
L’article 41(2) du Statut de Rome, que la défense a invoqué, prévoit que les juges n’exercent aucune activité qui soit incompatible avec leurs fonctions judiciaires ou qui fasse douter de leur indépendance.
Dans une demande déposée le 20 mai auprès de la Présidence de la Cour, Me Bourgon soutient que, puisque la juge n’a plus le poste diplomatique qu’elle souhaitait tant au point qu’elle ait souhaité une récusation de la CPI afin de l’obtenir, un observateur raisonnable ne pouvait qu’appréhender une apparence de partialité de la partie demandant sa récusation. Il a indiqué que cette attitude soulignait son manque d’indépendance en tant que juge.
Le 4 mars 2019, une majorité des juges de la Cour avait décidé que la demande de la juge Ozaki de continuer à exercer ses fonctions dans le procès Ntaganda tout en occupant son poste d’ambassadrice n’était pas incompatible avec les exigences de la CPI concernant une indépendance judiciaire. La défense a déclaré que cette situation enfreignait le règlement de la Cour relatif à l’indépendance de la justice.
Cependant, la demande de la défense de suspendre la procédure a été rejetée par les juges de la Chambre de première instance, qui a décidé qu’une pause du procès n’était pas justifiée à ce stade avancé du procès et, qui plus est, du fait que la défense n’avait pas encore déposé une demande pour disqualifier la juge Ozaki du procès.
Dans leur dernier document, les avocats de M. Ntaganda affirment que ni les conséquences perturbatrices de la disqualification de la juge ni le stade avancé du procès ne doivent être pris en considération pour décider si la juge Ozaki doit être disqualifiée. Cela est dû au fait que l’apparence d’impartialité est une condition nécessaire pour un juge « qui doit exister le premier jour du procès, le jour où la peine est prononcée et chaque jour entre ces deux dates ».
Me Bourgon a souligné que la juge Ozaki avait pris ses fonctions d’ambassadrice du Japon tout en participant aux délibérations du procès Ntaganda. Il a indiqué que tout cela s’était produit dès le 13 février sans que personne au sein de la CPI n’en soit informé. Il a, de plus, affirmé que la juge était en Estonie dès le 26 mars, se livrant à des activités de représentation diplomatique pour le Japon.
« Les fonctions simultanées de la juge Ozaki en tant que représentante diplomatique du gouvernement du Japon, aussi longtemps qu’elles ont duré, étaient incompatibles avec son indépendance en tant que juge. Ces fonctions ne peuvent, dans l’esprit d’un observateur raisonnable, qu’affecter la confiance dans son indépendance ».
L’article 41(2)(a) indique qu’un juge ne peut participer au règlement d’aucune affaire dans laquelle son impartialité pourrait raisonnablement être mise en doute pour un motif quelconque. Par ailleurs, l’article 41(2)(b) stipule qu’une personne faisant l’objet d’une enquête ou de poursuites peut demander la disqualification d’un juge si son impartialité peut être raisonnablement mise en doute.
La défense a accusé la juge Ozaki d’avoir manqué de franchise lorsqu’elle a demandé à devenir un juge n’exerçant pas à temps plein en ne divulguant pas à la Présidence de la Cour qu’elle allait être nommée ambassadrice. « Une franchise dès le départ aurait permis à la Présidence [de la Cour] de prendre des mesures avant que la juge Ozaki ne commence à exercer ses fonctions de diplomate japonaise », a soutenu la défense. Selon Me Bourgon, le jour où la juge a demandé la fin de ses fonctions à plein temps coïncidait avec la date de la décision du gouvernement japonais qui la nommait ambassadrice.
L’accusation et les avocats des victimes se sont opposés à la demande de la défense d’ordonner par les juges une suspension de la procédure mais ils sont sur le point de déposer des observations sur la demande de disqualification de la juge Ozaki.