Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a demandé aux juges de rejeter les deux motifs d’appel avancés par Bosco Ntaganda, l’ancien commandant de milice congolais, déclaré coupable à l’unanimité par la Chambre de première instance VI et condamné à 30 ans de prison en juillet dernier.
Dans l’appel, M. Ntaganda soutient qu’un des juges de la chambre qui l’a condamné manquait d’impartialité judiciaire. Il a également affirmé que les accusations portées à son encontre n’étaient pas suffisamment précises, ce qui a entraîné une condamnation inadéquate pour 15 actes criminels. Le procureur Fatou Bensouda a déclaré que ces motifs d’appel interprétaient de manière erronée le droit et évaluaient mal les faits. Elle a, par conséquent, demandé aux juges de les rejeter.
Dans l’appel de son acquittement, M. Ntaganda soutient que la juge Kuniko Ozaki, un des trois juges de la Chambre de première instance VI, avait perdu son apparence d’indépendance judiciaire dès lors qu’elle avait exercé les fonctions de diplomate japonaise tout en étant juge à la CPI. Il a affirmé que la juge Ozaki avait violé l’article 40(2) du statut de la Cour, qui prévoit que les juges de la CPI « n’exercent aucune activité qui soit incompatible avec leurs fonctions judiciaires ou qui fasse douter de leur indépendance ».
L’accusation a répondu que M. Ntaganda interprétait à tort l’article 40 en suggérant qu’il y avait une interdiction absolue pour les juges à temps partiel d’exercer certaines activités professionnelles. Me Bensouda a indiqué : « Le Statut ne renferme pas d’interdiction générale pour les juges à temps partiel. C’est tout à fait différent pour les juges exerçant à temps plein qui ont l’interdiction de se livrer à toute autre activité de caractère professionnel au sens de l’article 40(3) ».
En juin dernier, une majorité de juges de la Cour avait rejeté la demande des avocats de M. Ntaganda de récuser la juge Ozaki du procès, après avoir statué que la demande n’avait pas atteint « le seuil élevé » requis pour récuser un juge de la CPI pour motif de partialité. Les juges réunis en plénière ont également qualifié de spéculatif l’argument avancé par les avocats de la défense selon lequel la juge Ozaki était partiale à l’encontre de M. Ntaganda puisque l’équipe de défense avait demandé la démission de son poste d’ambassadrice.
Selon l’accusation, la juge Ozaki n’a pas perdu son apparence d’indépendance au sens de l’article 40, étant donné le temps limité pendant lequel elle a été ambassadrice du Japon en Estonie tout en exerçant en tant que juge à temps partiel dans le procès Ntaganda. De plus, l’accusation a soutenu qu’il n’y avait aucun lien ou intérêt connu entre le Japon et l’Estonie et l’affaire Ntaganda. L’accusation a également estimé que la juge Ozaki avait exercé les deux fonctions pendant une durée très courte (« environ un mois au maximum ») et seulement après le mémoire en clôture du procès et les délibérations de fond de la Chambre de première instance.
De plus, Me Bensouda a soutenu que les décisions des juges en plénière au titre de l’article 40 étaient définitives et ne pouvaient faire l’objet d’appel et que, sur cette seule base, le premier motif de M. Ntaganda doit être rejeté. Selon elle, aucun appel de ces décisions ne trouve de justification dans le statut. Les articles 81 et 82, en particulier, « qui doivent faire l’objet d’une interprétation restrictive » et qui définissent « de manière exhaustive » les droits de recours, n’incluent pas les décisions au titre de l’article 40 parmi celles qui peuvent faire l’objet d’un appel. Elle a déclaré que « si les décisions au titre de l’article 40 ne peuvent faire l’objet d’un appel après que les juges réunis en plénière aient rendu ces décisions, elles ne peuvent être remises en cause en tant que telles dans un appel du « jugement définitif ».
En juillet dernier, M. Ntaganda a été reconnu coupable de 18 chefs de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre commis en 2002 et 2003 alors qu’il commandait une milice dénommée Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC), le bras armé de l’Union des patriotes congolais (UPC). Il s’est vu infliger une peine de prison de 30 ans, dont il fait également appel.
Dans son second motif d’appel présenté dans le document du 11 novembre, la défense précise que la Chambre de première instance a fait une erreur en condamnant M. Ntaganda pour au moins 15 actes criminels qui ne relèvent pas des charges qui ont été confirmées. Elle affirme que la Chambre a attribué à tort à l’UPC / aux FPLC ou à M. Ntaganda tous les crimes commis dans tous les lieux mentionnés dans la décision de confirmation.
Le procureur a toutefois répondu que l’ensemble des charges portées à l’encontre de M. Ntaganda étaient suffisamment précises et que les juges l’avaient justement condamné pour les 15 actes criminels qu’il remet en cause. Me Bensouda a indiqué que les 15 actes criminels relevaient incontestablement des charges portées à son encontre et que M. Ntaganda avait reçu des informations claires et cohérentes en temps voulu concernant ces actes.
M. Ntaganda a déposé l’appel de sa condamnation en deux parties. La première partie, liée à deux motifs d’appel, a été déposée en novembre dernier. La date limite pour déposer des arguments en appui des 10 motifs additionnels a été repoussée au 11 janvier 2020, pour permettre la traduction du jugement en kinyarwanda, la langue maternelle de M. Ntaganda, qui selon le Greffe de la Cour sera terminée pour la première semaine de janvier 2020. Le second document n’a pas encore été rendu public.