Les représentants légaux des victimes ont proposé que la Cour pénale internationale (CPI) émette, dans un premier temps, une ordonnance de réparation avant qu’elle ne contacte les victimes qui souhaitent bénéficier de réparations dans le cadre du procès de Bosco Ntaganda.
Dans ses observations aux juges chargés de déterminer la nature des réparations, l’avocat des victimes Dmytro Suprun a suggéré qu’aucun processus basé sur les demandes ne devrait être lancé pour établir les victimes autorisées à obtenir des réparations. « Avant l’ordonnance accordant les réparations, seul un inventaire préliminaire du nombre des bénéficiaires potentiels devrait être réalisé pour évaluer le montant des réparations et ainsi fixer ces réparations », a-t-il déclaré. « Pour être clair, il ne devrait y avoir à aucune phase de collecte de formulaires pour l’octroi de réparations ».
Me Suprun a indiqué qu’une fois l’ordonnance de réparation prononcée, il faudra définir les critères d’éligibilité pertinents pour évaluer les bénéficiaires lors de la phase de mise en œuvre. Il a précisé que le lancement d’un processus basé sur les demandes, tel qu’il l’a été dans des procès précédents, devrait être évité étant donné le « nombre extrêmement élevé de bénéficiaires » dans le procès Ntaganda, car « un processus basé sur les demandes, lourd et détaillé, serait, d’une manière disproportionnée, chronophage, coûteux et contraire aux principes d’économie judiciaire ».
Cette position est appuyée par un autre avocat des victimes, Sarah Pellet, qui soutient que contacter les victimes à cette phase pourraient entraîner des risques de sécurité, notamment concernant l’exposition de leur statut de victimes. Elle a indiqué que la réduction des contacts avec les victimes diminuait ce risque. Par conséquent, prendre contact avec les victimes à la phase de mise en œuvre une fois qu’elles se présenteront pour l’octroi de réparations réduira le besoin de contacts répétés.
Selon Me Pellet, les personnes ont tendance à se présenter une fois qu’elles connaissent le contenu potentiel des programmes de réparation, en raison des implications psychologiques et de sécurité résultant du fait d’être identifié en tant que bénéficiaires de réparations. Elle a averti que la tentative d’identifier les victimes avant d’émettre une ordonnance de réparation spécifiant les types et les modalités des réparations ne tiendrait pas compte de ce point.
Me Pellet a déclaré que, les victimes de viol et d’esclavage sexuel, en particulier, qui sont souvent fortement traumatisées et rejetées par leurs communautés, sont susceptibles de ne pas se présenter avant d’avoir connaissance des projets envisagés.
M. Ntaganda a été condamné en juillet dernier pour des crimes commis en Ituri, dans l’est de la République démocratique du Congo, en 2002 et 2003. M. Ntaganda a fait appel de la condamnation et de la peine de prison de 30 ans.
En décembre dernier, la Chambre de première instance VI avait ordonné au Greffe de la Cour de recenser les nouveaux bénéficiaires potentiels qui pourraient avoir droit à des réparations. Bien que 2 132 victimes aient été autorisées à participer au procès Ntaganda, la Cour doit identifier, lors de la phase de réparation de la procédure, les victimes qui pourraient bénéficier de ces réparations. Elles pourraient inclure celles qui ont déjà été autorisées à participer ainsi que d’autres qui n’ont pas participé à la phase du procès. De plus, la Chambre a demandé aux parties et aux participants au procès de présenter leurs vues sur la nature des réparations.
Me Suprun a estimé que, avant que la Chambre d’appel ne confirme la condamnation de M. Ntaganda, y compris l’étendue des crimes et leur zone géographique, la Chambre de première instance devrait s’abstenir d’identifier à cette phase tous les bénéficiaires. Il a indiqué que si les victimes étaient identifiées maintenant, il y aurait le risque d’une déception importante si certains aspects de la condamnation de M. Ntaganda n’étaient pas confirmés en appel. Il a souligné que la Chambre de première instance III avait reconnu la gravité de cette situation lorsqu’elle avait clos la procédure en réparations à la suite de l’acquittement de Jean-Pierre Bemba en appel.
Entretemps, Me Pellet a proposé que les victimes autorisées à participer au procès Ntaganda soient considérées comme admissibles à recevoir des réparations. Elle a également suggéré que les personnes éligibles aux réparations dans l’affaire Lubanga devraient être automatiquement admissibles dans l’affaire Ntaganda.
Me Pellet a soutenu que, contrairement aux arguments de la défense, la volonté des victimes participantes de recevoir des réparations devrait être présumée, même si elle n’était pas expressément indiquée dans leurs formulaires de demande, à moins qu’il y ait des motifs spécifiques de croire qu’elles ne soient pas intéressées. Elle a indiqué que si elles ne souhaitaient pas l’octroi de réparations, elles pourraient tout simplement décider de ne pas se présenter lors de la phase de mise en œuvre des réparations.
Les avocats des victimes ont également proposé que les personnes qui n’avaient pas encore contacté la Cour puissent être admissibles aux réparations, après une évaluation lors de la phase de mise en œuvre. Au cours des prochains mois, les avis de la défense, de l’accusation et des experts indépendants seront transmis aux juges avant qu’ils n’émettent une ordonnance accordant réparations.