La transcription ci-dessous est tirée d’une émission de Radio Canal Révélation, une station de radio basée à Bunia, en République démocratique du Congo (RDC), diffusée le 14 février 2020. L’émission s’intitule «À la croisée des chemins de la justice», ce qui favorise la discussion sur les questions critiques concernant la justice en RDC.
Le principal présentateur est Richard Pituwa, et l’émission présentait deux invités parlant des réparations dans l’affaire Bosco Ntaganda. Sabine Muzama est avocate du Haut Katanga, anciennement Lubumbashi, mais également de Tshopo et d’Ituri. Elle est experte et coordinatrice de l’Association des femmes juristes. Xavier Macky Kisembo est magistrat et directeur de l’ONG Justice Plus.
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Richard Pituwa: Chers auditeurs de la Radio Canal Révélation, bienvenus à votre première édition de cette émission au carrefour de la justice. Le greffe de la CPI doit recenser de nouveaux bénéficiaires potentiels pour des réparations dans l’affaire de Bosco Ntaganda.
Ntaganda est officiellement reconnu comme un ancien général des Forces Armées de la RDC. Avant cela il a œuvré ici en Ituri comme commandant militaire au sein du groupe armé UPC (Union des patriotes congolais). Il est accusé pour 18 chefs de crimes contre l’humanité et crimes de guerre.
Selon les juges de la CPI, cette nouvelle décision va faciliter le déroulement équitable et rapide de la procédure de réparation. La CPI, a décidé en outre qu’il y ait une nouvelle cartographie des victimes et évaluer combien des victimes qui participaient déjà dans le procès sont éligibles pour effectivement avoir des réparations par rapport aux crimes commis par Bosco Ntaganda. Ces crimes ont été commis dans la ville de Bunia, dans les territoires de Djugu, de Mahagi, voir même de Aru.
Et pour parler de ceci nous avons dans ce studio le magistrat Xavier Macky Kisembo, il est le directeur de l’ONG Justice plus et nous l’avons invité au studio comme expert juriste, Bonjour Mr Xavier Macky !
Xavier Macky : Bonjour Richard.
Richard : Nous avons aussi dans ce studio Me Sabine Muzama, Me Sabine bonjour !
Me Sabine : Bonjour Mr le journaliste.
Richard : Chers auditeurs, pour participer dans cette émission envoyez-nous vos questions par message au numéro 0822070800. Nous serons ensemble durant 30 minutes. Au micro c’est Richard Pituwa, je suis assisté par David Ramazani et Jonas Mugadhu dans la réalisation. En attendant les questions des auditeurs, la première question pour Xavier Macky.
Question : Vous suivez de près ce qui se passe par rapport au processus de réparation mais aussi aux condamnations. Selon vous, pourquoi cette décision de ré-cartographier les victimes alors qu’il y avait une cartographie ? Est-ce qu’on peut dire que le travail n’était pas bien fait avant ou comment ?
Xavier Macky : Merci Richard pour la préoccupation que vous venez de soulever. Au fait, comme vous allez le constater avec moi, la cour a estimé qu’il fallait de nouveau faire une nouvelle cartographie en demandant au greffe de vouloir travailler sur cette matière en vue de pouvoir revoir le nombre des victimes.
Quand je parle de la révision du nombre des victimes c’est parce que, déjà au stade actuel la cour avait identifié ou accepté au moins 2132 victimes au niveau de la procédure, sur base d’un certain nombre de critères qui ont été définis. Donc le travail d’identification des victimes, comme dans toutes les autres affaires notamment celle de Thomas Lubanga, continue. Et si vous vous rappelez bien, dans l’affaire Lubanga il y avait une affaire de [sic] 425 victimes qui étaient admises à la procédure de réparation.
Le juge a estimé qu’il y a de potentielles victimes qui traînent dans la communauté et donc c’est important qu’une nouvelle cartographie soit faite pour pouvoir amener toutes les victimes à participer à la procédure de réparation pour qu’elles ne restent pas dans une situation de désolation.
Richard : Me Sabine, vous avez à ajouter quelque chose ?
Me Sabine : Au fait, me ralliant à ce que venait de dire Me Xavier, un élément à ajouter est que, vous savez dans toute procédure judiciaire l’objectif n’est pas seulement la répression des auteurs de crimes mais plus [sic] la resocialisation et la réparation des préjudices subis par les victimes.
Le fait pour la CPI de demander qu’on refasse la cartographie ne peut pas poser problème parce qu’en reprenant la cartographie, on ne dit pas que les 2132 victimes qui ont été acceptées à participer au procès seront écartées mais seulement on veut asseoir une réparation concrète et précise, qui atteindra les véritables victimes de ces exactions.
Richard : Merci. Mais Maître est ce que ça ne risque pas de donner un peu trop d’espoir à ces victimes à être réparées alors que Bosco a interjeté l’appel et on ne sait jamais, peut être qu’il va être acquitté?
Me Sabine : A mon avis non. Parce que l’appel interjeté par monsieur Bosco touche plus la condamnation pénale alors que la réparation s’est fait par ordonnance. Donc nous ne pensons pas que ça puisse frustrer.
Richard : Macky vous avez à ajouter quelque chose ?
Xavier Macky : Oui. En faisant miennes également les réponses que viennent de donner Me Sabine, je pense que cela ne posera pas problème parce que l’appel de monsieur Bosco Ntaganda porte beaucoup plus sur la peine. La défense a estimé que la peine qui a été prononcée par le juge a été assez exorbitante, donc il fallait statuer de nouveau sur cette peine et de voir comment le juge peut la revoir à la baisse. C’est un autre combat à ce stade qui ne concerne que la peine et non la procédure de réparation.*
Vous serez d’accord avec moi qu’il y a encore d’autres audiences sur la réparation et le juge a parlé dans son arrêt des audiences prévues entre février et octobre. Donc se sont deux choses différentes et l’appel ne pourra et va jamais frustrer les victimes qui attendent réparation même si le juge d’appel pourra revoir la peine. On ne dit pas qu’il pourra nécessairement revoir. Et s’il arrive à réviser la peine à 15 ans, 20 ans, et même s’il maintenait la peine, cela n’a pas un lien quelconque pour toucher ou étancher la procédure de réparation telle que prévue par le juge.
Richard : Il y a une question ici, qui a été posée par un auditeur de Bambu Mines [une localité lendu, siège de la Société des Mines d’Or de Kilo Moto SOKIMO] lors d’une des missions que nous avons effectuée de ce côté-là.
Question : Sur quel principe la CPI parvient-elle à identifier les vraies victimes et les entités touchées ? Car semblerait-il que certains endroits sont souvent oubliés.
Xavier Macky : Avant d’arriver à la phase de confirmation des charges, il y a toujours un travail de fond qui est fait par le Bureau du Procureur sur le terrain, avec d’autres personnes associées à l’enquête, pour faire des descentes sur le terrain et entendent les victimes.
Je pense qu’à ce stade on ne peut pas dire que voilà un travail est fait sans pouvoir faire des descentes aux préalables.
Richard : Je rappelle le numéro 0822070800 pour vos questions par message mais également quelques appels si possible.
Mme Sabine, une question que nous avons à partir de Kobu : « certaines des victimes des exactions commises par Bosco dans les villages Lendu en territoire de Djugu notamment à Kobu, à Bambu, etc., sont déjà mortes sans aucune réparation. Alors qu’est ce qui justifierait le retard dans le processus de réparation ? »
Me Sabine : Merci de nouveau pour cette question. Mais de prime à bord je veux apaiser la population parce que les réparations touchent pratiquement les matières civiles. Même en cas de mort de la victime, sa famille est là. Donc sa famille peut continuer à réclamer réparation des préjudices subis par le décédé. Ce n’est pas comme en matière pénale où il y a l’extinction de l’action quand la personne est décédée. En matière civile comme se sont des réparations on devra coûte que coûte réparer.
Que la population sache que, même quand la victime est décédée, elle peut venir se faire identifier pour le compte de la victime et la réparation va intervenir.
Mais par rapport au retard tel qu’évoqué par l’auditeur, je dirais qu’il n’y a pas de retard mais plutôt se sont des dossiers très complexes pour lesquels, il est exigé des grandes enquêtes et beaucoup de travail comme venait de dire le magistrat Macky.
Donc on doit procéder à l’identification et le dossier devrait être étudié dans la chambre pour voir qui ou quoi retenir. Et après, la réparation interviendra. Donc la population doit être aussi patiente vu la complexité des procès en rapport avec les crimes prévus au Statut de Rome.
Richard : Merci pour cette explication Me Sabine. Et si Macky n’a pas à ajouter, vous allez répondre à la question voici posée par un auditeur.
Question : Si Bosco est condamné c’est ne pas mauvais mais pourquoi la CPI ne voit pas ceux qui ont poussé Bosco à commettre tous ces crimes?
Richard : C’est une question qui devait être répondue par la CPI mais peut-être vous pouvait donner une petite partie de réponse en tant qu’expert.
Xavier Macky : Je pense ceux qui ont suivi le déroulement du procès et si vous lisez même l’arrêt tel qu’il a été rendu par le juge, je ne crois pas qu’il y ait des gens qui ont été cités par Bosco comme auteurs intellectuels. Et donc ici c’est l’acte reproché à Bosco qui est en train d’être réprimé. Mais au-delà de ça, je dois dire que la CPI ne doit pas tout faire. C’est une institution ou juridiction complémentaire. Les juridictions congolaises sont également compétentes pour pouvoir poursuivre d’autres qui ont commis ce genre des crimes avec Bosco Ntaganda.
Je me réserve de dire à ce stade qu’il y a des gens qui ont poussé Bosco à commettre des crimes. Bosco est responsable des crimes qu’il a commis tel que ça a été dit [sic] par la décision de condamnation.
Richard : Une autre question qui a peut-être un lien avec la précédente : Pourquoi la CPI ne parvient-elle pas à faire des descentes dans certains villages touchés par les exactions et atrocités de Bosco afin de découvrir d’autres réalités?
Xavier Macky : Je ne pense que la CPI ou le Bureau du Procureur en faisant des descentes fasse des publications ou des messages à la radio pour dire on est là, on est venu enquêter. L’instruction est faite de manière secrète et avec les personnes concernées par rapport à l’instruction comme dans la procédure ordinaire. Même en droit congolais quand un magistrat doit faire une descente sur le terrain il n’a pas à en faire la publicité. C’est pour éviter évidemment qu’il y ait des effacements de traces, pour vraiment travailler en toute indépendance et dans un environnement qui permet à ce que le travail soit fait dans des très bonnes conditions.
Je peux rassurer l’auditeur que les descentes ont été faites dans toutes les localités ou dans tous les villages qui ont été ciblés par les crimes de Monsieur Bosco Ntaganda.
Richard : Me Sabine vous avez à ajouter?
Me Sabine : Oui. Faisant également mienne la position du magistrat, la population doit savoir aussi qu’au niveau de la CPI il y a une organisation au service du greffe, des sections qui agissent en interaction avec d’autres qui sont chargées de la sensibilisation à la CPI. C’est dans le but de rapprocher les représentants de la CPI des communautés victimes des exactions. Ce qui fait qu’en Ituri vous constaterez aussi un bureau. Ce bureau a également pour rôle de se rapprocher de la communauté qui subit des exactions. Donc ils font un travail mais comme venait de dire le Magistrat, les enquêtes sont secrètes. Ils le font en rencontrant des communautés à travers leurs responsables, car il y a une commission pour ça.
Richard : Mr Xavier Macky, il y a une question de la part du professeur LONJIRINGA depuis Simbilyabo. Dans son appel téléphonique il dit : « pourquoi la CPI attend toujours la fin des crimes contre l’humanité ou la fin du génocide pour arrêter les criminels entre autre celui [sic] de Djugu ? »
Xavier Macky : Comme je l’ai déjà dit, nous ne devons pas tout remettre sur la CPI. Je crois que vous avez tous suivi comme quoi le Bureau conjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme a tout récemment publié un rapport avec un caractère très préventif par rapport à tous ceux qui commettent des crimes en territoire de Djugu. Pour dire que le travail est en train d’être fait d’une manière ou d’une autre. Et la phase des enquêtes approfondies des institutions judiciaires pourra venir.
Et donc on ne doit pas dire rien n’a été fait ou rien ne se fait. Même s’il y a des choses à reprocher dans ce rapport, c’est déjà un pas pour pouvoir identifier les criminels mais aussi pour pouvoir établir des responsabilités par rapport à ce qui se passent à Djugu.
Et donc nous espérons que si pas la CPI, même les juridictions nationales pourront se saisir du dossier et faire des enquêtes approfondies et indépendantes en vue d’établir des responsabilités par rapport à ce qui se passe. Pour nous c’est vraiment un signal fort.
Richard : Me Sabine la CPI attend toujours que le génocide se passe pour intervenir ?
Me Sabine : Monsieur Richard, qu’est-ce qu’on entend d’abord par la CPI ? La CPI est une cour permanente qui s’est assignée une mission donc cette cour a ses objectifs ; c’est d’enquêter et poursuivre les crimes et exactions ayant trait à caractère international et comme une juridiction complémentaire, la CPI n’agit que lorsque la juridiction nationale se réserve d’agir ou n’est pas à même d’agir. Et donc, il faut qu’il ait crime pour que la CPI intervienne car elle ne peut se mêler de la souveraineté interne d’un pays et donc elle ne peut qu’intervenir que lorsque les crimes sont déjà commis.
Richard : Cet auditeur dit, pourquoi la CPI trompe ainsi les victimes?
Peut-être cette question-ci pouvait être réservée pour ceux qui sont de Fonds au profit des Victimes. Nous allons y revenir prochainement.
Autre question. «Bonjour, les génocidaires sont encore à Djugu mais Bosco était là juste pour la protection du peuple innocent. Je demande si on ne peut pas prendre les témoins qui ont vécu cette misère ? »
Me Xavier : Il y a le Bureau du Procureur qui a mené ses preuves [sic] avec les victimes, mais aussi vous avez la défense qui a, à son tour, la possibilité d’amener les témoins à décharge. Cette question, elle devrait être adressée peut-être plus tard à la défense de Bosco Ntaganda car je sais que dans un procès comme celui-ci il y a égalité d’armes. Le Bureau du Procureur avec les victimes, la défense et toutes les parties impliquées dans ce procès ont suffisamment de temps pour pouvoir préparer le dossier et affûter leurs armes. Donc si cela n’a pas été fait par la défense de Bosco Ntaganda, je crois que c’est à ce niveau-là qu’il a des problèmes.
Richard : Me Sabine, avez-vous un mot à placer par rapport à cette question de l’auditeur qui pense qu’il y a des génocidaires à Djugu mais Bosco était juste [là] pour la protection de peuples innocent?
Me Sabine : Nous pensons que Bosco avait déjà des témoins et avait même bien préparé sa défense ensemble avec ses avocats. Toutefois nous demandons aussi à la population qui pense détenir des éléments des preuve à décharge pouvant aider Bosco, de les apporter car la cour n’a pas été injuste.
Richard : Nous avons une question d’un auditeur qui dit ceci. Comme le gouvernement semble déjà être dépassé par l’affaire de Djugu, n’y a-t-il pas moyen que la CPI intervienne ?
Xavier MACKY : Pour cette question il faut dire qu’il y a déjà un sérieux problème car les intuitions au stade actuel (armée, police) n’arrivent pas à protéger la population correctement. C’est pourquoi on parle ainsi dans le chef des populations. Dans le rapport il est dit clairement que ce qui se passe à Djugu pourrait être qualifié de crime de génocide. J’insiste sur le verbe « pourrait ». Et donc si cela a été dit de cette façon-là je pense qu’il y a une ouverture laissée par ce rapport pour dire qu’il faut des enquêtes indépendantes par des juridictions indépendantes pour pouvoir établir les responsabilités et cristalliser tous les faits qui se passent à Djugu.
Le rapport fait des recommandations notamment aux FARDC (Forces Armées de la RDC), PNC (Police Nationale Congolaise), que dans la mesure du possible essaient de protéger la population.
Ces recommandations ont été prises en compte par le gouvernement congolais pour voir dans quelle mesure il faut renforcer la sécurité de la population et de ses biens pour que ce massacre s’arrête.
Richard : Maître Sabine, avez-vous un mot de la fin par rapport à tout ce qu’on a débattu au cours de cette émission?
Me Sabine : En conclusion je dirai ceci, si la CPI doit intervenir, elle interviendra comme juridiction et viendra pour mener des enquêtes et poursuivre les soi-disant génocidaires. Mais il appartient au gouvernement congolais de sécuriser la population.
Richard : Bien, je rappelle que Me Sabine Muzama est experte et coordonnatrice de l’Association des Femmes Avocates. Elle est également avocate du barreau de Haut Katanga, ex Lubumbashi, mais aussi de la Tshopo et de l’Ituri.
Me Xavier Macky en guise de conclusion un mot à placer par rapport à la réparation des victimes de Bosco Ntaganda.
Me Xavier : Par rapport à la procédure de la réparation nous ne sommes pas encore à ce stade car il y a des potentielles victimes à identifier et donc un travail de fond doit être fait pour arriver à déterminer le nombre final des personnes victimes qui pourront plus tard participer au mandat de réparation tel que prévu par la cour.
Et par rapport à ce qui se passe à Djugu, il faut dire que nous avons à faire confiance à notre armée et police en collaborant bien. Il est important que tous nous contribuons, la sécurité étant une affaire à nous. Toutefois, il faut que le gouvernement congolais prenne en considération toutes les recommandations qui lui ont été faites par le rapport du Bureau conjoint des Nations Unies aux Droits de l’homme, pour que Djugu soit un territoire sans armé et que l’Ituri soit une province idéale où tout le monde aura envie de vivre.
Richard : Merci beaucoup maitre Xavier Macky, je rappelle que vous êtes le directeur de Justice plus, une ONG de défense et de vulgarisation des droits de l’homme.
Merci à vous tous, aimables auditrices et auditeurs, d’avoir été au rendez-vous. A la présentation c’était richard Pituwa, assisté par David Ramazani et Jonas Mugadhu et à la mise en onde Daniel Balinda.
Indicatif de la fin de l’émission
*La défense de Bosco Ntaganda a fait appel de sa condamnation et de la peine. La CPI a prévu une audience d’appel à partir du 29 juin 2020.