Les mesures mises en place pour lutter contre la pandémie de Covid-19 pourraient, d’après certaines parties au procès, influer sur le rythme de la procédure en réparations dans l’affaire Bosco Ntaganda. Toutefois, les avocats des victimes ont suggéré que, quelles que soient les perturbations causées par la pandémie, les juges devraient utiliser les informations dont ils disposent actuellement pour délivrer sans retard une ordonnance de réparation.
Selon le Greffe de la Cour, les mesures prises en réponse au Covid-19 auront probablement une forte incidence négative sur sa capacité à se rendre dans les zones concernées de la République démocratique du Congo (RDC) pour enregistrer de nouveaux demandeurs potentiels pour les réparations. Dans ses observations du 21 avril, le Greffe avait indiqué que les activités sur le terrain en RDC et en Ouganda impliquant des interactions directes avec les victimes, les partenaires et les chefs de communauté étaient en attente à la suite des restrictions de déplacement imposées dans ces pays.
Il a ajouté : « Sans des informations claires sur la durée des restrictions de déplacement, il est impossible de savoir avec certitude si, ou pour quelle durée, les mesures liées au Covid-19 auront une incidence sur la proposition du Greffe concernant l’enregistrement de nouveaux demandeurs potentiels sur le terrain, sans parler des autres activités sur le terrain du Greffe ».
Plus tôt dans le mois, le juge unique de la Chambre de première instance VI a demandé aux parties et participants au procès de déposer des observations sur l’impact des mesures relatives au Covid-19 sur leurs capacités à exercer leurs fonctions liées à la procédure en réparations.
En réponse, la défense a déclaré que, du fait du Covid-19, toutes les visites au centre de détention de la Cour étaient suspendues jusqu’à une date indéterminée depuis le 16 mars 2020. Par conséquent, bien que des instructions puissent être demandées à M. Ntaganda par le biais de conversations téléphoniques confidentielles, ces consultations « étaient inadéquates pour obtenir des instructions détaillées et pour tenir toute forme de discussion sérieuse sur la fourniture de conseils et stratégies juridiques ». De plus, la défense a ajouté, « les barrières linguistiques sont amplifiées, les malentendus sont plus fréquents et les fenêtres pour les communications sont diminuées étant donné que les membres des équipes travaillent à des fuseaux horaires différents ».
L’avocat de la défense Stéphane Bourgon a également affirmé que, dans ces circonstances, il n’était pas possible de mener des discussions et des échanges avec M. Ntaganda, qui n’est autorisé à parler qu’à une seule personne à la fois et seulement aux membres de l’équipe qui sont autorisés pour les communications confidentielles.
Me Bourgon a indiqué que si les mesures liées au Covid-19 se poursuivaient dans leur forme présente, elles affecteraient le travail de la défense. Par exemple, la défense a besoin de mener des missions sur le terrain mais cela ne sera possible que lorsque la RDC lèvera son interdiction de voyager. Si les missions sur le terrain sont repoussées ou annulées, a précisé Me Bourgon, la capacité de la défense à déposer des observations sur les réparations en octobre serait impactée.
Selon le calendrier des réparations, la Chambre est actuellement dans le processus de nomination des experts qui auront jusqu’au 28 août 2020 pour déposer leurs rapports sur la nature des réparations. Toutes les parties et tous les participants doivent soumettre leurs observations d’ici le 30 octobre 2020.
De son côté, l’avocat des victimes Sarah Pellet a demandé à la Chambre de première instance de mener une procédure en réparations rapide malgré les défis que pose le Covid-19. Elle a soutenu que la pandémie de Covid-19 n’avait, en aucune façon, d’incidence sur la capacité de la Chambre à rendre une ordonnance de réparation puisque les juges avaient reçu des observations sur les cinq éléments clés à prendre en considération dans l’ordonnance de réparation, tels que définis par la Chambre d’appel dans le procès Thomas Lubanga.
Les éléments identifiés par la Chambre d’appel sont les suivants :
- L’ordonnance devra être formée à l’encontre de la personne condamnée, établir sa responsabilité et l’en informer ;
- L’ordonnance devra définir le type des réparations ordonnées (individuelles, collectives ou les deux) et les motifs qui les sous-tendent ;
- L’ordonnance devra définir les préjudices causés aux victimes directes et indirectes ;
- L’ordonnance devra identifier les modalités des réparations ; et
- L’ordonnance devra identifier les victimes admissibles ou définir les critères d’éligibilité.
Selon Me Pellet, la Cour devrait se référer aux différents rapports sur les réparations transmis par des organisations et des experts dans d’autres affaires au lieu de demander de nouveaux rapports auprès d’experts. Elle a précisé que cela éviterait des litiges, rationaliserait la procédure et garantirait que les ressources financières limitées mises à disposition soient utilisées au profit des victimes, tout en évitant des retards supplémentaires dans l’émission de l’ordonnance de réparation, en particulier au vu des contraintes liées au Covid-19.
Pieter W.I. de Baan, directeur exécutif du Fonds au profit des victimes, a affirmé que le Covid-19 et la détérioration de la situation en matière de sécurité dans la province d’Ituri, dans l’est du Congo, ont un impact sur la capacité du Fonds à recueillir les données pertinentes sur le coût des réparations car aucune activité de terrain n’est actuellement possible. Toutefois, le Fonds développe actuellement des stratégies d’atténuation pour garantir que les informations pertinentes soient soumises à la Cour d’ici le 30 octobre.
Dmytro Suprun, un autre avocat des victimes, a proposé que, étant donné les restrictions de voyage actuelles, les activités sur le terrain soient, à ce stade, concentrées sur l’évaluation par le Greffe du nombre et de la localisation des bénéficiaires potentiels des réparations. Il a suggéré que puisque des villages entiers avaient été pris pour cible, tous ceux qui résidaient ou étaient présents sur les lieux des crimes à l’époque des évènements devraient être considérés comme des bénéficiaires potentiels pour des réparations.
Me Suprun a suggéré qu’une étape importante de l’évaluation serait la collecte d’informations relatives au nombre de personnes qui résidaient dans les lieux en question à l’époque des crimes pour lesquels M. Ntaganda a été condamné et que ces chiffres servent de base d’estimation pour le nombre de victimes directes.
Le Greffe a signalé que, bien que les activités impliquant un contact direct avec les victimes ne pouvaient avoir lieu étant donné les restrictions dues au Covid-19, le personnel pouvait travailler à distance sur des modules d’entraînement destinés aux intermédiaires participant à l’enregistrement des nouveaux demandeurs ainsi que sur la conception de la documentation et de la méthodologie d’enregistrement. Le Greffe a toutefois ajouté que, si les restrictions relatives au Covid-19 étaient levées progressivement, le calendrier de l’enregistrement devra être adapté.