Les avocats de Bosco Ntaganda ont fait remarquer que, si les juges de la Cour pénale internationale (CPI) envisageait de tenir ses audiences d‘appel par le biais de plateformes en ligne, ils devaient être attentifs aux défis logistiques et aux exigences relatives à la tenue d’un procès équitable qui pourraient en découler. Les juges ont fixé l’audience d’appel du 29 juin au 1er juillet 2020 au siège de la Cour, situé à La Haye.
La défense a énuméré plusieurs conditions auxquelles, au minimum, une plateforme destinée à une audience d’appel virtuelle de la CPI devait se conformer. Les avocats de la défense ont déclaré que les audiences virtuelles devaient permettre l’affichage simultané de plusieurs images, l’interprétation et la transcription en temps réel du français vers l’anglais, des consultations confidentielles entre M. Ntaganda et ses avocats, des audiences à huis clos pour les témoignages confidentiels ainsi que la possibilité pour M. Ntaganda d’être détenu dans un lieu depuis lequel il pourrait participer aux audiences publiques et à huis clos et depuis lequel il pourrait s’adresser directement à la Chambre d’appel. La défense a également indiqué qu’il serait nécessaire de faciliter un accès public à ces audiences.
Dans ses observations du 5 mai, l’avocat de la défense Stéphane Bourgon a précisé que l’on ignorait si tous les membres de l’équipe de défense seraient en mesure d’acquérir le matériel et les logiciels nécessaires pour une plateforme ayant cette complexité ou une connexion à haut débit suffisante pour les utiliser. Il a ajouté qu’il pourrait s’avérer impossible de préserver la confidentialité de la procédure lorsque les parties plaident depuis leurs domiciles.
La Chambre d’appel entendra les arguments des appels de M. Ntaganda de sa condamnation et de sa peine lors de l’audience. Me Bourgon a soutenu que, hormis les problèmes techniques, une audience représentait une opportunité unique pour les parties d’interagir avec les juges et de s’engager dans des échanges spontanés et impromptus. Il a déclaré qu’une audience virtuelle, indépendamment de la complexité de la technologie utilisée, pouvait difficilement reproduire ces échanges.
L’avocat de la défense a estimé que les communications virtuelles étaient plus artificielles et il a cité une étude de 2017 qui soutenait que « des mouvements subtiles du visage, des signaux non verbaux et des actions périphériques, importants pour interpréter les discours, étaient difficiles à détecter dans les communications transmises par vidéo », alors que ces réponses, qui sont essentielles pour évaluer la manière dont un message est reçu, sont tout autant difficiles à estimer.
Me Bourgon a précisé que les défenseurs d’un procès équitable avaient récemment recommandé que les procès pénaux ne devraient pas avoir lieu si l’accusé ne pouvait être présent physiquement en audience pour des motifs de santé publique. Il a soutenu que cela s’appliquait aux audiences d’appel pour lesquelles l’accusé conservait ses droits à être présent et de disposer de suffisamment de temps et de locaux pour se préparer à ce qui doit être une audience publique.
Selon Me Bourgon, les études menées sur les procès pénaux à distance avant la pandémie de Covid-19 souligne immanquablement le désavantage que représentent les audiences virtuelles pour les accusés, par exemple en compromettant leur accès aux avocats. Il a cité des études qui suggéraient que les juges pouvaient être plus répressifs vis-à-vis des accusés qu’ils voyaient à l’écran et que, les audiences virtuelles avaient des effets néfastes pour les accusés, « être assis dans un local avec un lien vidéo pour une longue période pouvait être mentalement épuisant et aliénant ».
De plus, la défense a affirmé qu’il n’y avait pas de disposition, dans les documents statutaires de la CPI, relative aux accusés assistant à des audiences via un lien vidéo autre que comme sanction pour une interruption continue de la procédure. La défense a soutenu que cela pourrait provenir du fait que les audiences virtuelles dans les procès pénaux risquaient de créer une incompatibilité avec plusieurs droits pour l’accusé, notamment le droit à un procès public, le droit de disposer de suffisamment de temps et de locaux pour la préparation de la défense et le droit d’être jugé en sa présence. Les audiences virtuelles peuvent également affecter la capacité d’un accusé à participer pleinement et activement à son propre procès, a-t-elle ajouté.
Selon la défense, le statut de la Cour fait une distinction entre la présence effective à laquelle un accusé a le droit et la présence fictive via un lien vidéo. Les avocats de la défense ont indiqué que cette dernière est une « circonstance exceptionnelle » au sens de l’article 63(2), qui peut être mise en place si un accusé « trouble de manière persistante le déroulement du procès » et uniquement « quand d’autres solutions raisonnables se sont révélées vaines et seulement pour la durée strictement nécessaire ».
Entretemps, la défense a signalé des difficultés pour avoir accès à distance aux outils numériques de la CPI, notamment aux bases de données et aux plateformes de travail virtuelles, qu’il a qualifié « d’extrêmement lentes » et qui se sont souvent avérées inaccessibles pendant des heures. Cette situation a réduit l’accès de la défense aux pièces à conviction, aux transcriptions et aux dossiers judiciaires de la Cour. Elle a également indiqué que le système de dépôt électronique des demandes présentait des retards similaires et était parfois indisponible.
Depuis le 16 mars 2020, la Cour a fermé son centre de détention aux visiteurs. Par conséquent, la défense a souligné que demander des instructions auprès de M. Ntaganda était devenu « plus compliqué, chronophage et moins efficace ». La défense a demandé aux juges de prendre en compte ces défis avant de donner des instructions sur les dates limites de dépôt et sur la conduite des audiences d’appel.