Les avocats de l’ancien commandant rebelle congolais Bosco Ntaganda ont instamment demandé aux juges de la Cour pénale internationale (CPI) de rejeter sa condamnation pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. À l’audience d’appel du lundi 12 octobre, les avocats ont soutenu que le procès de M. Ntaganda renfermait de nombreuses violations du droit à bénéficier d’un procès équitable et que sa condamnation était une erreur.
« En raison des nombreuses erreurs de droit et erreurs de fait commises par la Chambre de première instance, M. Ntaganda a été reconnu coupable de 18 chefs. Nous sommes confiants sur le fait que la Chambre d’appel apportera toute la lumière sur les erreurs de la Chambre de première instance et ordonnera un acquittement complet ou un nouveau procès pour M. Ntaganda », a affirmé l’avocat principal de la défense Stéphane Bourgon.
M. Ntaganda a été condamné en juillet 2019 pour des crimes commis en 2002 et 2003 dans le district de l’Ituri, en République démocratique du Congo. À l’époque, M. Ntaganda était chef adjoint de l’état-major des Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC), la branche armée de l’Union des patriotes congolais (UPC).
La Chambre de première instance VI a conclu que M. Ntaganda était l’auteur direct de trois crimes, à savoir de meurtre en tant que crime contre l’humanité et en tant que crime de guerre ainsi que de persécution en tant que crime contre l’humanité. Hormis le fait qu’il porte une responsabilité pénale individuelle pour ces trois crimes, M. Ntaganda a été condamné en tant qu’auteur indirect de 15 crimes. Il a fait appel de sa condamnation et de sa peine de prison de 30 ans.
À l’audience de lundi, les avocats de la défense ont déclaré que la Chambre de première instance a décidé à tort que M. Ntaganda était responsable en tant que coauteur indirect des crimes, arguant que l’UPC / les FPLC n’avaient pas de plan commun pour détruire la communauté ethnique Lendu. Ils ont également indiqué que les juges de première instance n’avaient fait état d’aucun élément de preuve pour étayer leur conclusion selon laquelle M. Ntaganda avait donné son accord à ce plan ou leur détermination selon laquelle les coauteurs avaient prévu de perpétrer des viols et de l’esclavage sexuel comme conséquence certaine de la mise en œuvre de ce plan.
L’avocate de la défense Kate Gibson a également affirmé que M. Ntaganda avait été reconnu coupable sur la base d’un plan commun différent de celui contre lequel il s’était défendu. Elle a déclaré, « L’idée [présente dans la décision de condamnation] selon laquelle le plan commun comprenait la destruction de la communauté ou l’anéantissement du groupe ethnique Lendu n’a pas été plaidée ».
Dans leur décision de condamnation, les juges ont estimé que M. Ntaganda avait contribué au plan commun de « chasser tous les Lendus des localités visées lors de leurs campagnes militaires » par « la destruction et l’anéantissement de la communauté Lendu ». La défense a soutenu que M. Ntaganda ne s’était pas vu notifier pendant le procès qu’il serait jugé sur sa participation à un plan commun destiné à annihiler un groupe ethnique.
Par conséquent, la défense a déclaré que la décision de condamnation avait élargi le dossier tel qu’il a été confirmé par la Chambre préliminaire et présenté par l’accusation. Elle soutient que ceci est contraire au règlement de la CPI qui stipule que, en condamnant un accusé, une chambre de première instance ne peut aller au-delà du cadre d’un plan commun tel qu’il a été invoqué dans l’acte d’accusation.
De plus, la défense a affirmé que de nombreuses irrégularités de procédure avaient porté atteinte au droit de M. Ntaganda de bénéficier d’un procès équitable, citant l’utilisation « excessive » par la Chambre de première instance de documents ex parte provenant de l’accusation ainsi que la prétendue erreur de refuser de suspendre la procédure avant de se prononcer sur la demande de non-lieu de la défense.
Selon la défense, alors que le règlement de la CPI prévoit que les observations ex parte soient limitées à six circonstances, la Chambre de première instance VI avait reçu 214 observations ex parte écrites dont 91 n’ont pas été divulguées au terme du procès. La défense a indiqué que même celles qui avaient été requalifiées pendant le procès étaient restées ex parte pendant plusieurs mois bien qu’elles renfermaient des déclarations de témoins comportant des allégations préjudiciables à l’encontre de M. Ntaganda.
Les avocats de la défense ont également soulevé le fait que l’accusation avait omis de divulguer qu’elle avait accès aux conversations de M. Ntaganda lorsqu’il était dans le centre de détention de la CPI, y compris celles qui portaient sur les enquêtes de la défense, l’identité des témoins potentiels de la défense et la stratégie de la défense. Me Bourgon a indiqué que pendant les 13 mois pendant lesquels l’accusation a présenté ses moyens, elle a eu accès à ces conversations sans en informer la défense, ce que cette dernière a qualifié d’injustifié, ce qui a causé un préjudice irrémédiable à l’équité du procès et a constitué « un abus flagrant de procédure, ce qui mène au seul recours possible, un acquittement complet ».
Selon Me Bourgon, les juges de première instance auraient pu rectifier certaines de leurs erreurs s’ils n’avaient pas systématiquement rejeté les demandes de la défense d’interjeter appel. Il a déclaré que parmi les 23 demandes que la défense avait faites, seules trois avaient été satisfaites. Me Bourgon a demandé à la Chambre d’appel d’annuler toutes les condamnations pour des crimes contre l’humanité, arguant que les juges avaient conclu à tort que l’UPC / les FPLC avaient l’intention d’attaquer des populations civiles ou d’encourager ce type d’attaques.
L’audience d’appel, qui devait initialement débuter le 29 juin 2020, a été repoussée après que les juges aient décidé que la Cour n’était pas en mesure de gérer des audiences virtuelles. Elle devrait se tenir le 14 octobre 2020.