L’accusation de la Cour pénale internationale (CPI) s’est opposée aux motifs d’appel de l’ancien chef rebelle congolais Bosco Ntaganda contre sa condamnation et a demandé aux juges de rejeter ses plaidoyers en faveur de son acquittement. L’accusation fait valoir que les juges qui ont condamné M. Ntaganda en juillet 2019 n’ont violé aucun de ses droits à un procès équitable ou commis des erreurs dans l’appréciation des éléments de preuve.
M. Ntaganda a été condamné pour 18 chefs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, y compris meurtre, viol, esclavage sexuel, enrôlement et utilisation d’enfants soldats, déplacement forcé, destruction de biens, pillage et attaque de civils et d’objets protégés. Il a fait appel de la condamnation, invoquant entre autres la violation du droit à un procès équitable, et fait valoir comme seul recours un acquittement complet ou un nouveau procès.
Cependant, l’accusation soutient qu’aucun des arguments de M. Ntaganda ne démontre qu’il a eu un procès inéquitable ou que la Chambre de première instance VI a commis une erreur en le condamnant. Selon l’avocate de l’accusation, Helen Brady, les condamnations prononcées à l’encontre de M. Ntaganda étaient fondées sur des constatations factuelles dûment justifiées au terme d’une analyse et d’une évaluation approfondies de tous les élément de preuve admis pendant les trois années du procès, et en appliquant la norme de preuve de manière appropriée.
S’exprimant lors de l’audience d’appel, Mme Brady a déclaré que les juges avaient à juste titre conclu que M. Ntaganda appartenait à un groupe de coauteurs dont le but était de chasser les membres de la communauté ethnique Lendu de certains secteurs du district de l’Ituri au Congo. Par des actes de brutalité à l’encontre des civils Lendu, « il a joué un rôle clé, à la fois directement et par ses contributions majeures au plan criminel commun » a-t-elle déclaré.
En condamnant M. Ntaganda, les juges de première instance ont estimé qu’il avait commis ces crimes en 2002 et 2003, alors qu’il était le chef adjoint de l’état-major dans les Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC). Les FPLC étaient la branche armée de l’Union des Patriotes congolais (UPC), un groupe d’opposition dirigé par Thomas Lubanga, condamné par la CPI en 2012. En plus de faire appel de sa condamnation, M. Ntaganda a également fait appel de la peine de 30 ans de prison prononcée à son encontre.
Les avocats de la défense avaient fait valoir que les juges de première instance avaient commis une erreur en concluant que M. Ntaganda avait été tenu pour responsable en tant que coauteur indirect, soutenant que l’UPC et les FPLC n’avaient pas de plan commun pour éliminer la communauté ethnique Lendu. Ils ont également reproché aux juges d’adopter une « approche erronée » dans l’évaluation des témoins. Cependant, selon Mme Brady, contrairement aux affirmations de la défense selon lesquelles les juges ont systématiquement rejeté les preuves de M. Ntaganda lorsqu’elles contredisaient les preuves de l’accusation, la chambre a soigneusement évalué tous les éléments de preuve pertinents et a rejeté sa version comme non crédible lorsqu’elle était jugée invraisemblable.
L’accusation a fait valoir qu’après avoir énoncé de manière exhaustive les principes juridiques, les juges de première instance ont procédé à une analyse détaillée de la crédibilité couvrant plus de 70 pages et impliquant jusqu’à 14 témoins de l’accusation, avant de rejeter les éléments de preuve de M. Ntaganda par manque de crédibilité. Mme Brady a déclaré : « Sa plainte semble être que la chambre n’a pas expliqué assez clairement pourquoi elle avait préféré une preuve incriminante à son témoignage pour parvenir à ses conclusions factuelles, ce que la chambre a pourtant fait ».
Nicole Samson, une autre avocate de l’accusation, a répondu aux allégations de la défense selon lesquelles la chambre de première instance avait adopté une approche inappropriée dans la corroboration des éléments de preuve et qu’elle était partiale à l’égard des preuves présentées par M. Ntaganda. La défense avait fait valoir qu’en condamnant M. Ntaganda, les juges de première instance avaient fondé nombre de leurs conclusions sur des affirmations non corroborées qui émanaient souvent de témoins complices.
La défense avait également avancé que les témoins à charge 768, 963 et 17 étaient des associés de M. Ntaganda au sein de l’UPC et des FPLC, et que les juges avaient commis une erreur en se fiant à leurs témoignage qui contredisaient les éléments de preuve fournis par M. Ntaganda. Selon Mme Samson, la chambre a estimé à juste titre que ces témoins étaient crédibles et que leur témoignage était fiable, ayant consacré à cette évaluation plusieurs pages du jugement.
En outre, l’accusation a fait valoir qu’en prétendant que la chambre de première instance s’était appuyée sur des éléments de preuve non corroborés pour le condamner, M. Ntaganda a introduit à tort une exigence de corroboration là où il n’y en avait pas. « Une chambre de première instance peut s’appuyer sur le témoignage non corroboré, mais par ailleurs crédible, de tout témoin, y compris de complices présumés » a déclaré Mme Samson. « Cette chambre de première instance a adopté une approche au cas par cas pour la corroboration. Ses motifs d’acceptation ou de rejet des éléments de preuve sont détaillés et exhaustifs »
La défense a demandé aux juges d’appel d’annuler la condamnation de M. Ntaganda pour tous les chefs de crimes contre l’humanité, en faisant valoir que les juges de première instance n’ont cité aucun élément de preuve démontrant que l’UPC avait un plan commun d’attaque des civils. Les avocats de M. Ntaganda ont affirmé que cette preuve était une condition préalable pour déterminer la responsabilité de crimes contre l’humanité. En réponse, l’accusation a déclaré que toutes les éléments de preuve connus établissent que l’UPC a ciblé des civils dans le cadre d’une politique visant à chasser les Lendu de certaines régions.
Le substitut du procureur Matteo Costi a déclaré que les commandants de la milice ont donné l’ordre à leurs combattants d’attaquer tous les Lendu, y compris les civils. Il a ajouté que dans les zones attaquées par la milice, des hommes, des femmes et des enfants ont été assassinés, violés, torturés et persécutés.
Lorsqu’ils ont pris le contrôle de Mongbwalu, les soldats des FPLC ont « violé de nombreuses femmes et filles dont certaines n’avaient que 13 et 14 ans », et dans la ville de Kobu, les soldats des FPLC ont détenu et violé plusieurs femmes et filles, dont une de 11 ans. « Au moins 50 des personnes capturées à Sangi, Buli et Gola, dont des femmes, des jeunes garçons et des filles, ont été amenés à Kobu. Là-bas, certaines femmes ont été violées. La nuit, les prisonniers étaient exécutés en groupe. Au moins 49 corps ont été retrouvés les jours suivants dans un champ de bananes à proximité. » M. Costi a ajouté que dans la résidence de M. Ntaganda, des miliciens ont arrêté et tué des civils, « M. Ntaganda en personne a abattu l’un d’entre eux, un prêtre ».
L’accusation s’est également opposée aux arguments de la défense selon lesquels M. Ntaganda aurait été condamné dans le cadre d’un plan commun qui dépassait la portée des accusations. Dans leur décision de condamnation, les juges avaient estimé que M. Ntaganda avait contribué au plan commun de « chasser tous les Lendus des localités visées lors de leurs campagnes militaires » par « la destruction et l’anéantissement de la communauté Lendu ». La défense a soutenu que M. Ntaganda ne s’était pas vu notifier pendant le procès qu’il serait jugé selon sa participation à un plan commun destiné à annihiler un groupe ethnique.
Pour sa part, l’accusation a déclaré que la décision de confirmation des charges et le jugement ont établi une composante militaire et une composante pénale du plan commun, à savoir une campagne militaire visant à prendre le contrôle de l’Ituri et à expulser et attaquer les Lendu. « La remarque de la chambre contenue dans le jugement selon laquelle les coauteurs avaient l’intention de détruire et de désintégrer la communauté Lendu reflète la composante criminelle et est établie par les éléments de preuve », a déclaré l’avocate de l’accusation, Meritxell Regué.