Les experts qui ont été nommés pour apporter des conseils sur la nature des réparations dans l’affaire Bosco Ntaganda ont suggéré de donner des sommes d’argent à chaque victime ainsi que des réparations collectives ayant des composants individuels, tels qu’un enseignement ou une formation professionnelle, des soins médicaux et psychologiques ainsi que des aides pour les activités génératrices de revenus.
Les recommandations des experts ont reçu l’appui des avocats des victimes, qui ont déclaré que les victimes avaient exprimé une préférence pour des sommes d’argent individuelles mais avaient également fait valoir la nécessité de réparations collectives. Le montant proposé pour chaque victime a été supprimé des documents rendus publics par la Cour pénale internationale (CPI). Les juges devront, dans une ordonnance de réparation qui sera émise la semaine prochaine, déterminer la nature des réparations, notamment si les victimes doivent recevoir une réparation sous forme d’argent, et dans l’affirmative, le montant de cette réparation.
M. Ntaganda a été reconnu coupable en 2019 de 18 chefs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, commis en 2002 et 2003 alors qu’il était commandant d’une milice dans l’est de la République démocratique du Congo. La Cour a reçu les conclusions finales sur les réparations de la part du Greffe et du Fonds au profit des victimes de la CPI, de la défense de M. Ntaganda et des avocats des victimes ainsi que de la part d’experts indépendants. Ces conclusions finales aideront à définir la nature et l’étendue des réparations.
Selon le Greffe de la Cour, qui s’est entretenu avec les victimes sur leur mode préféré de réparations, « la nette tendance émergente de cet exercice de consultation est la préférence des personnes consultées pour des formes de développement économique ou pour des mesures économiques qui soient accordées individuellement afin de réparer les préjudices subis ». Le Greffe a déclaré dans son rapport final aux juges, daté du 15 janvier 2021, sur les réparations que la majorité des victimes consultées demandait une aide économique ou une compensation pour suivre un enseignement, pour acheter un terrain, pour construire une maison ou pour reconstruire la maison familiale détruite lors des attaques de 2003.
Lors des consultations du Greffe, certaines victimes ont proposé des réparations collectives qui puissent profiter à leur communauté, telles que des réparations de routes, l’amélioration de l’accès à l’eau potable pour leur village, un centre d’entraînement pour les jeunes et un accès à une électricité stable pour leurs communautés. Concernant les victimes qui ont été enfants soldats, la plupart d’entre elles a proposé une campagne de sensibilisation pour faciliter leur réinsertion dans leurs communautés.
La défense s’est toutefois opposée à ces suggestions arguant qu’il ne s’agissait pas de réparations liées aux préjudices causés par un crime pour lequel M. Ntaganda avait été condamné mais étaient plutôt liées à de l’aide humanitaire.
« À la lumière des réparations collectives préalablement ordonnées par cette Cour, il serait inadéquat et inadapté d’accorder ce type de réparations dans le procès de M. Ntaganda », a soutenu la défense. « Par exemple, en observant les procès Lubanga et Katanga, le type de réparations mis en place en faveur des victimes visait expressément à soulager les préjudices résultant des crimes de la personne condamnée ».
Les experts qui ont été nommés par la Cour pour la conseiller sur la nature et l’étendue des réparations ont recommandé, dans leur premier rapport, un forfait de réparations standard (SRP) pour chaque victime des attaques, qui inclurait un montant d’indemnisation standard (SCA) pour couvrir les dommages matériels, un montant pour les moyens de subsistance et un montant pour couvrir les préjudices moraux subis par chaque victime. Selon les experts, la similarité des dommages subis et le grand nombre de bénéficiaires attendus plaident pour une indemnisation standardisée.
Le deuxième rapport des experts a proposé que les victimes directes de viol et de violence sexuelle se voient attribuer une plus forte indemnisation que les autres victimes d’attaques, afin de refléter les circonstances aggravantes de la violence sexuelle.
L’avocat des victimes Dmytro Suprun a soutenu l’idée que des indemnisations SRP et SCA soient ordonnées, à condition que les compensations soient de valeur égale pour toutes les victimes comme l’a suggéré le premier rapport des experts. Il a indiqué que les indemnisations sous forme d’argent, telles que recommandées par les experts, devraient être complétées par des réparations collectives renfermant des composants individuels, tels que des aides médicales et psychologiques, des aides pour les activités génératrices de revenus et la formation professionnelle.
Le premier rapport des experts a affirmé que le SRP sera considéré comme appartenant à la catégorie des réparations qui apporte un « ensemble standardisé de bénéfices à toutes les victimes de chaque catégorie de violations (par exemple, le pillage) ou pour chaque type de dommages (par exemple, la perte des moyens d’existence, indépendamment du crime qui l’a provoquée). Ils ont suggéré qu’un important composant individuel soit inclus à la combinaison des deux types de réparations recommandés.
Sarah Pellet, également avocate des victimes, a indiqué en décembre 2020 que les anciens enfants soldats « avaient exprimé massivement une préférence pour les réparations individuelles » bien qu’ils accepteront également des réparations collectives ayant un composant individuel. Elle a déclaré que l’indemnisation financière inclue dans le SCA correspondait aux souhaits et priorités exprimées par les anciens enfants soldats.
Me Pellet a indiqué qu’un traitement équivalent des deux catégories de victimes, les victimes des attaques et les anciens enfants soldats, minimisera les risques d’un processus de réparations qui aggraverait indirectement les tensions interethniques. Elle a précisé que cette approche refléterait le fait qu’il y a des victimes de M. Ntaganda dans tous les groupes ethniques, bien qu’il y ait eu différents types de crimes. Les victimes des attaques proviennent principalement de la communauté Lendu alors que les enfants soldats sont majoritairement issus de l’ethnie Hema.
Dans le procès de Thomas Lubanga, les juges de la CPI ont ordonné des réparations collectives pour les victimes, à savoir des mesures de réadaptation psychologique, des mesures de rééducation physique ainsi que des mesures socioéconomiques. Dans le procès Germain Katanga, une compensation individuelle symbolique de 250 dollars US par victime a été ordonnée, ainsi que des réparations collectives sous la forme d’une aide au logement, d’une aide à l’éducation, d’activités génératrices de revenus et d’un appui psychologique.