Nom : Bosco Ntaganda
Nationalité : Congolais
Arrestation : Le 18 mars 2013, Bosco Ntaganda s’est volontairement présenté à l’ambassade américaine de Kingali, au Rwanda et a demandé à être transféré à la CPI, basée à La Haye. M. Ntaganda a fait l’objet de deux mandats d’arrêt non exécutés, le premier ayant été délivré en 2006 et le second, en 2012.
Date de détention à la CPI : 22 mars 2013
Charges :Treize chefs de crimes de guerre (meurtre et tentative de meurtre; attaque contre des civils; viol, esclavage sexuel de civils; pillage; déplacement de civils; attaques contre des biens protégés; destruction des biens de l’ennemi; viol, esclavage sexuel d’enfants soldats; enrôlement et conscription d’enfants soldats âgés de moins de quinze ans et leur utilisation pour les faire participer activement à des hostilités) et cinq chefs de crimes contre l’humanité (meurtre et tentative de meurtre; viol; esclavage sexuel; persécution; et transfert forcé de populations) qui auraient été perpétrés dans la province de l’Ituri entre 2002 et 2013.
Date de début du procès : 2 septembre 2015
Bosco Ntaganda est l’ancien chef adjoint présumé de l’état-major général des Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC), la branche armée de l’Union des patriotes congolais (UPC). Connu au sein de ses troupes sous le nom de « Terminator » ou de « Warrior » pour sa tendance à monter au front et à participer directement aux opérations militaires, M. Ntaganda a servi dans un certain nombre de groupes rebelles dans tout l’est du Congo pendant plus d’une décennie. Outre son leadership présumé des FPLC, M. Ntaganda occupait un poste important dans le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP). Après un accord de paix signé entre le gouvernement congolais et le CNDP, M. Ntaganda a occupé les fonctions de général dans l’armée congolaise jusqu’à 2012. En avril 2012, M. Ntaganda et un groupe de soldats congolais se sont mutinés pour créer le M23, un groupe rebelle qui aurait commis de terribles violations des droits de l’homme, notamment des exécutions sommaires, des viols collectifs et des recrutements forcés d’enfants soldats.
Ce qui suit donne un aperçu de la manière dont l’affaire a été portée devant la CPI.
Comment la CPI s’est impliquée en RDC
La République démocratique du Congo est devenue un État partie au traité fondateur de la Cour pénale internationale (CPI), le Statut de Rome, lorsqu’elle a signé le traité le 8 septembre 2000 et ratifié le 11 avril 2002. Ce dernier a conféré à la CPI la compétence pour les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide perpétrés sur territoire congolais ou par des citoyens congolais après le1er juillet 2002, date à laquelle le Statut de Rome est entré en vigueur. Cependant la CPI ne peut être compétente pour ces affaires que si le gouvernement n’est pas désireux ou capable d’enquêter ou d’engager des poursuites pour ces crimes. Par conséquent, les enquêtes de la CPI sur les crimes commis en RDC n’ont commencé qu’après que le gouvernement congolais ait officiellement déféré la situation dans son pays à la CPI le 19 avril 2004.
Le procureur de la CPI avait initialement choisi de concentrer ses enquêtes sur la situation en Ituri étant donné la gravité des crimes commis lors du conflit qui s’est déroulé dans cette province. En 2008, le procureur de la CPI a élargi ses enquêtes aux provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu dans l’est de la RDC, ce qui a mené aux mandats d’arrêt délivrés à l’encontre de deux chefs rebelles, Callixte Mbarushimana et Sylvestre Mudacumura. Les juges de la CPI ont toutefois refusé de confirmer les charges portées à l’encontre de M. Mbarushimana, et M. Mudacumura demeure en liberté.
Les enquêtes du procureur et les mandats d’arrêt à l’encontre de M. Ntaganda
L’enquête du procureur de la CPI sur la situation dans la province d’Ituri, située dans l’est de la RDC, a officiellement débuté en juin 2004. Elle a mis à jour suffisamment d’éléments de preuve pour montrer que, lors du conflit d’Ituri, les FPLC ont perpétré à de nombreuses reprises des actes d’enrôlement, de conscription et d’utilisation d’enfants de moins de 15 ans qui étaient entraînés pour prendre part au conflit armé. Le 22 août 2006, la chambre préliminaire I de la CPI a délivré un mandat d’arrêt affirmant qu’il existait des motifs raisonnables de croire que, en tant que chef adjoint de l’état-major général responsable des opérations militaires, M. Ntaganda avait utilisé son autorité au sein des FPLC pour mettre en œuvre activement une politique d’enrôlement, de conscription et d’utilisation d’enfants de moins de 15 ans pour qu’ils participent activement aux hostilités.
Le 15 mars 2012, la situation en RDC a été transférée à la chambre préliminaire II de la CPI. Après avoir reçu une demande de l’accusation, la Cour a délivré le 13 juillet 2012 un second mandat d’arrêt, plus large, à l’encontre de M. Ntaganda. Les juges ont conclu, en se basant sur des documents fournis par l’accusation, qu’il existait des motifs raisonnables de croire que, lors du conflit d’Ituri de septembre 2002 à septembre 2003, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre avaient été perpétrés. Le mandat d’arrêt stipule également qu’il existait des motifs raisonnables de croire que M. Ntaganda, en tant que chef des FPLC, est responsable comme coauteur des crimes contre l’humanité de meurtre, de viol et d’esclavage sexuel et de persécutions ainsi que des crimes de guerre, de meurtre et d’esclavage sexuel, de pillage et d’attaque contre la population civile.
Emplacement du procès
Le procès se tiendra au siège de la Cour à La Haye, aux Pays-Bas. Le 13 mars 2015, la chambre préliminaire VI a recommandé à la présidence de la Cour que les exposés introductifs du procès se tiennent in situ, à Bunia, en RDC. En principe, toutes les parties (l’accusation, la défense et les représentants légaux des victimes) sont d’accord qu’il serait de l’intérêt de la justice de tenir une partie du procès plus près du lieu des crimes et des communautés de victimes. Les autres demandes de l’accusation et des représentants légaux des victimes ont cependant soulevé de vives inquiétudes dans la région en général et auprès des témoins et des victimes en particulier. Après avoir pris en considération ces facteurs ainsi que le coût élevé de la tenue des exposés introductifs à Bunia, la présidence a conclu que les avantages de tenir une partie du procès in situ l’emportaient sur les risques.
Quelle a été la teneur de la déclaration de M. Ntaganda lorsqu’il a témoigné pour sa propre défense ?
Du 14 juin au 13 septembre, Bosco Ntaganda a témoigné pour sa défense. Seuls deux autres accusés de la CPI ont témoigné précédemment pour leur propre défense. Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo ont tous les deux témoigné pour leur propre défense devant la CPI en octobre et novembre 2011 alors qu’ils étaient conjointement jugés pour des crimes commis en RDC.
Au début de son témoignage, M. Ntaganda a parlé de sa naissance au Rwanda, de son éducation au Congo et de la manière dont le génocide rwandais de 1994 l’avait motivé à combattre l’injustice. M. Ntaganda a affirmé qu’il était un artisan de la paix et un partisan de la discipline, qui luttait contre les groupes armés qui ont perpétué la discrimination et les attaques sur des membres des groupes ethniques Tutsi et Hema dans l’est du Congo.
Il a affirmé avoir interdit les relations sexuelles entre les membres de la milice UPC et que cette politique était respectée par l’ensemble des troupes. M. Ntaganda a raconté deux cas de tentative de viol qui avait été signalés au camp d’entraînement du groupe implanté à Mandro et que les troupes responsables avaient été punies en conséquence. M. Ntaganda a également déclaré que sa milice examinait les recrues pour s’assurer qu’elles n’étaient pas trop jeunes pour s’engager. Il aurait même ordonné aux commandants de « renvoyer toutes les recrues chez elles ».
Ntaganda a nié les affirmations de l’accusation selon lesquelles il était de facto le chef militaire de l’UPC. Il a déclaré que, en 2002 et 2003, il était subordonné au chef d’état-major de l’UPC, Floribert Kisembo. Il a ajouté qu’il était également subordonné à Thomas Lubanga qui était le chef politique du groupe.
Dans la conclusion de son témoignage, M. Ntaganda a nié avoir demandé à certaines personnes de « tromper » ou « mentir » à la Cour lors de communications téléphoniques passées depuis le centre de détention. Il a affirmé que, dans certains cas, il a pu demander à ses contacts de l’aider à localiser des personnes qui avaient été impliquées dans certaines opérations militaires de l’UPC et de « les mettre en contact » avec les personnes ressources qui travaillaient avec son équipe de défense.
Pourquoi la défense tente-t-elle de récuser une juge ?
Le 4 mars 2019, une majorité de juges de la Cour a décidé que la juge Ozaki, un des trois juges en charge du procès Ntaganda, pouvait continuer à exercer en tant que juge à temps partiel tout en étant ambassadrice du Japon en Estonie. Les juges ont déclaré que son poste diplomatique n’était pas incompatible avec les exigences d’indépendance judiciaire de la CPI. La juge Ozaki a pris ses fonctions d’ambassadrice en avril 2019 mais a démissionné quelques semaines plus tard lorsque des inquiétudes ont été soulevées à ce propos.
La défense a déposé une demande auprès de la Présidence de la CPI de récusation de la juge Ozaki du procès le 20 mai 2019. Dans sa demande, la défense a invoqué l’article 41(2) du Statut de Rome, qui prévoit que les juges n’exercent aucune activité qui soit incompatible avec leurs fonctions judiciaires ou qui fasse douter de leur indépendance. La défense a également soutenu que, puisque la juge avait démissionné du poste diplomatique qu’elle souhaitait tant, un observateur raisonnable ne pouvait qu’appréhender une apparence de partialité contre M. Ntaganda qui demandait sa récusation.
Le 17 juin 2019, une majorité des juges de la Cour avaient rejeté cet argument et a déclaré n’avait pas atteint « le seuil élevé » requis pour disqualifier un juge de la CPI pour motif de partialité.
Qui paye la défense de M. Ntaganda ?
Conformément au Statut de Rome, un accusé a le droit de bénéficier d’un conseil juridique lors d’une procédure pénale. Comme c’est le cas pour M. Ntaganda, si un accusé affirme être indigent et qu’il ne peut payer sa représentation légale, la Cour fournira une aide juridique lors de la phase préalable au procès. La décision d’apporter une assistance financière peut toutefois être annulée à tout moment si une enquête conduite par le greffe de la Cour révèle que l’accusé peut supporter les coûts de son conseil.
Lors de la phase préalable au procès, l’avocat principal de M. Ntaganda était Marc Desalliers, un avocat pénaliste international très connu qui a également participé à l’équipe de défense de Thomas Lubanga. Cependant, en juillet 2014, M. Desalliers s’est retiré de la défense de M. Ntaganda, mentionnant « des points de vue irréconciliables » avec M. Ntaganda sur la conduite de sa défense. Il n’a pas détaillé ces différends. En août 2014, Stéphane Bourgon a pris la suite en tant que conseil principal de la défense de M. Ntaganda.
Jugement de Ntganda et peine
Le 8 juillet 2019, la Chambre de première instance VI a condamné Ntaganda pour 18 crimes de guerre et crimes contre l´humanité. Les juges ont conclu que les FPLC, pendant un conflit armé, avaient établi une politique destinée à attaquer et à chasser de la région les membres du groupe ethnique Lendu, ainsi que les « non-ituriens ». Ceci impliquait le meurtre et le viol de civils Lendus ainsi que la destruction et l’appropriation de leurs biens. Ntaganda, le commandant plus expérimenté de l’armée était « déterminé à établir une organisation solide capable de chasser les Lendus ».
Les juges ont décidé que M. Ntaganda était un auteur direct de trois crimes : crime contre l’humanité, crime de guerre ainsi que de persécution en tant que crime contre l’humanité. Ntaganda a été condamné en tant qu’auteur indirect des 15 crimes restants. Ntaganda a notamment été jugé responsable d’esclavage sexuel et de viol, dont viol sur des enfants de soldats des FPLC. Les preuves ont montré qu’au moins trois filles mineures de 15 ans, appartenant à la même armée que Ntaganda, ont été violées maintes fois.
La Chambre de première instance annoncera la peine de Ntaganda dans les temps prévus.
Contexte du conflit d’Ituri
Souvent décrite comme la zone la plus sanglante de la RDC, l’Ituri a longtemps été le théâtre d’affrontements ethniques entre les communautés hema et lendu. Les combats étaient issus à l’origine de conflits territoriaux localisés entre les deux groupes ethniques, datant de la domination belge du Congo de la fin du 19e siècle et qui s’est intensifiée en 1994 lorsque les différends ont été associés au génocide mené par les Hutu sur les Tutsi dans le Rwanda voisin.
Dans le Zaïre tout proche (actuellement la RDC), la dictature de trois décennies du président Mobutu Sese Seko a entraîné une érosion progressive de toutes les institutions publiques et un mécontentement général à travers le pays. En 1996, l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), un groupe rebelle armé, largement soutenu par le Rwanda et l’Ouganda, a pris le contrôle du Zaïre et a donné le nom de République démocratique du Congo à ce pays. En 1997, Laurent Kabila, le chef des AFDL, s’est autoproclamé président.
Une fois au pouvoir, M. Kabila s’en est pris à ses anciens alliés. Se sentant de plus en plus menacés, le Rwanda et l’Ouganda ont poussé à la création d’un nouveau mouvement rebelle dirigé par des Tutsis congolais, dénommé Banyamulenge. M. Kabila a bénéficié d’un soutien accru de la part du Zimbabwe, de l’Angola, du Burundi, et des milices anti-Tutsi congolaises, Mai-Mai. Des affrontements violents entre les deux camps ont éclaté entre 1998 et 2002, popularisés dans les médias internationaux comme « la première guerre mondiale africaine ».
Les riches ressources naturelles de la région ont largement alimenté les conflits et la participation internationale à ces derniers. Animés par le désir de prendre le contrôle de l’or, des diamants et des ressources en bois de la région, des confrontations directes entre les militaires ougandais et rwandais se sont fréquemment produites à travers l’Ituri et la région toute entière. Lorsque le conflit s’est intensifié, les Lendu ont commencé à s’identifier aux Hutu et les Hema aux Tutsi, exacerbant ce conflit de longue date existant entre les groupes ethniques lendu et hema.
Malgré l’implication de l’ONU et le fait que les parties belligérantes aient signé l’accord de paix de Sun City en avril 2002, les combats se sont intensifiés avec de nouvelles attaques qui ont renforcé le caractère ethnique sous-jacent du conflit. En août 2002, l’UPC, avec l’armée ougandaise, a lancé une offensive pour contrôler Bunia, la principale ville d’Ituri, tuant délibérément des civils lendu, nande et bira lors de cette attaque. D’août 2002 à mars 2003, l’UPC a contrôlé Bunia, formant un gouvernement contrôlé par les Hema sous la direction de Thomas Lubanga, le chef de l’UPC. Après avoir établi sa mainmise sur Bunia, l’UPC s’est déplacé vers le sud et a attaqué Songolo, tuant environ 100 habitants. En novembre 2002, l’UPC a attaqué la mine d’or de Mongbwalu, où les combattants de l’UPC ont pris pour cible des civils lendu et ont tué 200 d’entre eux. Á la suite de l’offensive de Mongbwalu, les forces de l’UPC ont attaqué Kilo, où elles ont forcé des civils lendu présumés de creuser leurs propres tombes avant de les abattre. Décrit comme « une armée d’enfants », l’UPC a recruté de force des enfants dont certains avaient 7 ans, y compris des filles, pour le service militaire.
En juin 2003, des casques bleus européens dirigés par les français sont intervenus pour stopper les combats. En septembre 2003, la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUC) ont assumé les responsabilités en matière de maintien de la paix.
La guerre de 1998-2003 a détruit les moyens institutionnels nécessaires pour la résolution de ces divergences. Les conflits ont mis à mal les communautés et ont conduit à un système juridique sinistré, limitant le potentiel des mécanismes traditionnels de résolution des conflits. L’absence d’État de droit a perpétué une culture d’impunité générale.
La CPI a ouvert son instruction au Congo en 2004 après un renvoi du président Joseph Kabila. Hormis à l’encontre de M Ntaganda, la CPI a délivré des mandats d’arrêt à l’encontre de trois chefs rebelles liés aux crimes commis dans la région d’Ituri : Thomas Lubanga de l’UPC, Mathieu Ngudjolo des Front des nationalistes et intégrationnistes (FNI) et Germain Katanga de la Force de résistance patriotique en Ituri (FRPI). En mars 2012, la CPI a condamné M. Lubanga de conscription, d’enrôlement et d’utilisation d’enfants soldats lors du conflit d’Ituri qui s’est déroulé entre 2002 et 2003. La CPI a acquitté M. Ngudjolo en décembre 2012. En mars 2014, la CPI a déclaré M. Katanga coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité découlant d’un attaque contre des civils en février 2003 en Ituri. Les jugements de M. Lubanga et M. Ngudjolo ont été confirmé en appel.