Seize mois se sont écoulés depuis l’ouverture du procès de Bosco Ntaganda devant la Cour pénale internationale (CPI). L’accusation a appelé 62 personnes pour témoigner à l’encontre de l’ancien commandant rebelle congolais qui répond de 18 charges de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Les crimes auraient été commis dans la région d’Ituri, en République démocratique du Congo (RDC) en 2002 et 2003 lorsque M. Ntaganda exerçait les fonctions de chef adjoint de l’état-major de l’Union des patriotes congolais (UPC).
Cet article donne un aperçu du procès en 2016, notamment des témoignages présentés à l’encontre de l’accusé et met en exergue des questions telles que les allégations de subornation de témoin portées à l’encontre de M. Ntaganda, le boycott du procès et les deux semaines de grève de la faim menés par l’accusé, le recours persistent au huis clos ainsi que les types de témoignages entendus jusqu’à présent.
Meurtres et attaques contre les civils
Le procès a entendu des témoignage apportés par différents témoins qui impliquaient les troupes de l’UPC dans des attaques contre des civils dans les villes de Kobu, Sayo et Mongbwalu. Dans certaines villes assaillies, les attaques étaient quotidiennes, ce qui poussait les civils à fuir. Lors de ces attaques, les soldats de l’UPC auraient tué des civils non armés, notamment ceux qui appartenaient au groupe ethnique Lendu. Le témoin P790 a raconté que près de 57 civils avaient été massacrés dans la ville de Kobu tandis que le témoin P017 a relaté qu’au moins 20 femmes et enfants, ainsi qu’un nombre inconnu d’hommes, avaient été exécutés dans la même ville. Les récits des témoins P790 et P017 concernant Kobu ont été corroborés par le témoin P301.
À Songolo, le témoin P888 a déclaré que des bébés et des enfants d’à peine cinq ans figuraient parmi les victimes des attaques. De nombreux habitants des villes assiégées, dont le témoin P113, ont été enlevés et retenus en otage pendant des longues périodes. Selon une victime, après qu’une décennie se soit écoulée depuis les attaques de certaines de ces villes, les habitants sont toujours incapables de reconstruire leurs vies.
Le témoin P190 a affirmé que les attaques que les troupes de M. Ntaganda avaient mené sur plusieurs villes étaient motivées par l’appât du gain. D’autres, tels que le témoin P019, ont déclaré que les attaques étaient motivées par des raisons ethniques. Toutefois, la défense a également raconté que des milices s’étaient opposées aux atrocités commises par l’UPC dans certaines villes.
Viols et esclavage sexuel de civils et d’enfants soldats
Le procès a entendu que des recrues féminines mineures de la milice auraient subi des viols et un esclavage sexuel. Selon un ancien membre de la milice, le témoin P017, certaines filles, dès l’âge de 12 ans, qui servaient dans la garde personnelle de commandants de haut rang avaient des « relations sexuelles non voulues » avec les commandants. D’autres membres ont affirmé que, au sein de l’UPC, le personnel militaire féminin n’étaient pas en mesure de refuser les avances sexuelles de leurs supérieurs et que certaines filles « étaient transformées en femmes de commandants ». Les soldats de M. Ntaganda violaient également les femmes qu’ils retenaient prisonnières, avant de les exécuter, d’après le témoin P963.
Le directeur adjoint de la division Afrique de Human Rights Watch (HRW), Anneke Van Woudenberg, a brièvement témoigné lors du procès. Son rapport intitulé La malédiction de l’or, Couvert de sang : Violence ciblée sur certaines ethnies dans le Nord-Est de la RDC et En quête de justice : Poursuivre les auteurs de violences sexuelles commises pendant la guerre au Congo, qui renferme les récits de victimes de violence sexuelle perpétrée par tous les groupes armés en Ituri, y compris l’UPC, a été admis en tant qu’élément de preuve.
Conscription et utilisation d’enfants soldats
Dans son témoignage de juin 2016, le témoin P190 a soutenu que M. Ntaganda s’était emparé d’enfants dans une école primaire pour garçons et les avaient enrôlés dans sa milice. Le témoin a affirmé que M. Ntaganda avait dirigé un groupe de soldats lors d’une attaque sur une école à Muzipela, dans l’est du Congo, et avait pris un nombre non précisé d’enfants qu’il avait enrôlés dans l’UPC. Les écoliers, avec d’autres personnes kidnappées dans différents endroits, avaient été entraînés au camp du groupe situé à Mandro. Selon le témoin, si l’une des recrues, âgées de 11 à 13 ans, tentait de s’enfuir, elle était abattue.
Le témoin P769, une ancienne recrue, a allégué que certains enfants occupaient les fonctions d’instructeurs militaires dans les camps d’entraînement militaire. Un autre témoin, qui s’est présenté sous le pseudonyme de témoin P030, a déclaré que certains des enfants soldats appartenaient à l’escorte personnelle de M. Ntaganda.
Entretemps, un ancien fonctionnaire de la protection de l’enfance aux Nations unies qui a œuvré pour démobiliser des enfants soldats a déclaré que l’UPC avait pris quelques mesures pour démobiliser des enfants soldats en 2003. Elle a indiqué que le groupe avait diffusé un communiqué radio pour démobiliser les enfants soldats et avait ensuite libéré un nombre inconnu d’enfants. Le fonctionnaire des Nations Unies a précisé que le groupe n’avait cependant pas mis en place de mesures de sécurité appropriées pour désarmer, démobiliser et réintégrer les enfants libérés dans leur communauté.
Lors du contre-interrogatoire mené par la défense, le fonctionnaire a déclaré qu’elle n’avait pas été toujours en mesure de vérifier l’âge des enfants qu’elle avait interviewé.
Ntaganda impliqué dans les pillages
Dans son témoignage, le témoin P017, qui est un ancien membre de l’UPC, a affirmé que M. Ntaganda avait ordonné à ses troupes de ne pas piller mais que l’accusé a continué lui-même à piller les villes occupées. Le témoin s’est rappelé avoir vu des équipements volés dans un hôpital de Mongbwalu dans le véhicule personnel de M. Ntaganda. Comme leur supérieur, les autres soldats avaient également « continué à piller comme si aucun ordre n’avait été donné ». Le témoin P815 a relaté le pillage à grande échelle des civils Lendu à Sayo.
Le témoin P907 a également soutenu que les chefs de l’UPC avaient donné aux civils des armes et les avaient encouragé à piller. Les civils, appartenant majoritairement à l’ethnie Hema, avaient outrepassé ces ordres en engageant le combat et en commettant des meurtres. Toutefois, pendant le contre-interrogatoire, les avocats de la défense ont contesté le récit des événements, jetant le doute sur la connaissance du témoin du fonctionnement de l’UPC.
Dix témoins experts se sont présentés à la barre
Parmi les 13 témoins experts prévus par l’accusation, 10 ont témoigné l’année dernière. Les personnes qui se sont présentées à la barre comprennent le psychologue médicolégal John Charles Yuille qui a témoigné au sujet des traumatismes et Maeve Lewis, une psychothérapeute. Les autres personnes incluent le Dr Derek Congram, un archéologue médicolégal qui a témoigné sur les exhumations ainsi que quatre autres membres de l’équipe, le Dr Sophie Gromb Monnoyeur, qui a mené les examens cliniques de quatre victimes des attaques présumées commises par les membres du groupe rebelle de M. Ntaganda et un expert en images satellite, Lars Bromley. Une épidemiologiste, le Dr Lynn Lawry a témoigné sur la violence sexuelle.
Une large utilisation des mesures de protection
Un grand nombre de témoins se sont vus accordés des mesures de protection, notamment l’utilisation d’un pseudonyme ainsi que la déformation numérique de la voix et du visage, afin de protéger leurs identités du public. Dans certains cas, l’essentiel du témoignage de certains témoins a été entendu à huis clos. Parmi ceux-ci, figurent le témoin P290, le témoin P550, le témoin P894, le témoin P877 et le témoin P018. Les autres témoins comprennent le témoin P105, le témoin P365, le témoin P792, le témoin P976, le témoin P918, le témoin P911, le témoin P758, le témoin P761 et une personne fortement protégée dont le pseudonyme a été ensuite divulgué comme étant le témoin P014. Dans certains cas, la totalité du témoignage a été entendu à huis clos.
Les avocats de M. Ntaganda se sont opposés, de plus en plus souvent, à ce que les témoin de l’accusation bénéficient de mesures de protection. Le 16 novembre, par exemple, la défense a déposé une demande pour s’opposer aux mesures de protection pour un témoin dont le pseudonyme avait été retiré des documents rendus publics. Stéphane Bourgon, le conseil principal de la défense, a soutenu que l’accusation n’avait pas motivé le type d’intimidation auquel le témoin avait été confronté et a affirmé que les informations fournies par l’accusation démontraient uniquement que l’intimidation supposée « n’était rien de plus que des critiques du public ».
En février 2016, les juges ont refusé de reconsidérer le niveau des mesures de protection du témoin P039 estimant « inapproprié » le fait d’augmenter le niveau des mesures afin qu’il passe de partiel à complet. Après avoir été informé que la Chambre lui avait accordé des mesures de protection partielles en octobre 2015, le témoin avait indiqué qu’il n’était pas en mesure de témoigner étant donné des inquiétudes concernant sa sécurité. Les juges n’avaient pas accordé au témoin les mesures de protection consistant en une déformation numérique de la voix et du visage pour sa première comparution, arguant que l’utilisation d’un pseudonyme « diminuerait suffisamment tout risque pour la sécurité du témoin ».
La défense a soutenu que l’utilisation persistante de séances à huis clos privait M. Ntaganda d’un procès public et pouvait encourager les témoins à mentir car ils savaient que les membres du public ne pouvaient ni connaître leurs identités ni entendre leurs témoignages
Nombre des témoins de l’accusation
Huit témoins se sont présentés à la barre entre septembre et décembre 2015, tandis que 52 témoins ont été appelés en 2016, dont un grand nombre a eu le témoignage apporté lors du procès antérieur de Thomas Lubanga admis en tant qu’élément de preuve. Deux témoins, le témoin P888 et le témoin P868, ont été appelés de nouveau après leur première comparution. Comme le témoin P039, une autre personne portant le pseudonyme P668 a été appelée mais ne s’est pas présentée à la barre des témoins.
Le 15 juillet, les juges ont ordonné aux procureurs de diminuer le nombre de témoins qu’ils avaient l’intention d’appeler comme témoins à charge à l’encontre de M. Ntaganda. Au même moment, le juge président Robert Fremr a déclaré que la Chambre comptait que l’accusation termine la présentation de ses témoignages lors des « deux premiers mois » de 2017. Le mois suivant, l’accusation a décidé de raccourcir la durée de sa présentation des moyens en diminuant le temps total estimé pour interroger et contre-interroger les témoins restants à 65 heures.
De plus, le BdP a indiqué qu’il demanderait aux juges d’admettre en tant que preuve le témoignage préalablement enregistré de plusieurs témoins en vertu de la règle 68 du Règlement de procédure et de preuve de la Cour. Au titre de cette règle, si le témoin dont le témoignage a été enregistré ne comparaît pas en personne devant la Cour, les juges peuvent permettre l’introduction de ce témoignage s’il n’est pas lié aux actes et conduite de l’accusé.
Malgré tout, l’accusation a conservé une liste de témoins composée de 89 personnes, telle qu’elle avait été estimée lors des déclarations liminaires pendant lesquelles les procureurs avaient déclaré avoir prévu plus de 80 témoins, notamment des membres de la milice ayant travaillé avec M. Ntaganda, des victimes, des témoins oculaires et des témoins experts.
L’équipe de défense continue à rencontrer des difficultés
La défense a continué à faire face à des difficultés cette année. Un manque de ressources, notamment en effectif, l’a handicapé pour mener ses enquêtes sur le terrain en début d’année. Il a également eu une influence sur la capacité de la défense de se préparer suffisamment pour les contre-interrogatoires des témoins de l’accusation.
Les audiences ont été, par deux fois, repoussées en février, compte tenu de l’indisponibilité des avocats de la défense. La première fois, lorsque Luc Boutin, le conseil adjoint de M. Ntaganda à l’époque, est devenu indisponible pour des motifs qui n’ont pas été communiqués au moment où le conseil principal Stéphane Bourgon n’était pas présent également à la Cour. La deuxième occasion était due au mauvais été de santé de l’avocat principal de la défense.
Tout cela a affecté la préparation de la défense pour le contre-interrogatoire des témoins pendant le mois de février et a fait que les avocats de M. Ntaganda ont été incapables de contre-interroger le témoin P290, au lieu de demander aux juges d’appeler ce témoin à une date ultérieure.
En avril, Me Boutin s’était désaissi de l’affaire, invoquant des raisons personnelles.
La grève de la faim de M. Ntaganda
Le 7 septembre, M. Ntaganda a entamé une grève de la faim pour protester contre la décision des juges de maintenir les restrictions imposées sur ses communications et contacts. Bien que les juges avaient initialement ordonné que M. Ntaganda doive assister au procès, les audiences se sont trouvées au point mort puisque les fonctionnaires de la Cour n’ont pu le transporter dans la salle d’audience pour des motifs médicaux et qu’il a maintenu son refus d’autoriser ses avocats de le représenter pendant son absence.
Les audiences se sont poursuivies pendant une courte période en vertu d’un protocole établi par les juges, selon lequel les avocats de M. Ntaganda représentaient ses intérêts en son absence. Le 21 septembre, la protestation de M. Ntaganda s’est terminée et il a mandaté les avocats de la défense pour le représenter après que les fonctionnaires de la Cour aient préparé une visite de sa femme pour huit jours, dans des conditions qu’il a jugé acceptables.
En vertu des restrictions imposées à M. Ntaganda en août 2015, ses communications téléphoniques n’étaient permises qu’avec deux personnes, elles faisaient l’objet d’une surveillance active et étaient limitées dans leur durée, dans les langues utilisées et les sujets abordés, avec l’interdiction d’utiliser un langage codé ou de débattre des questions liées au procès. Depuis la grève, M. Ntaganda a continué à demander la levée des restrictions imposées sur ses communications.
Allégations de subornation de témoin
Dans une notification déposée le 7 novembre, l’accusation a divulgué à la la défense des preuves démontrant que M. Ntaganda était impliqué dans un « large plan pour entraver le cours de la justice, notamment en préparant les témoins de la défense potentiels, en faisant obstruction aux enquêtes de l’accusation et en exerçant des pressions sur les témoins de l’accusation ».
En réaction, la défense a demandé aux juges de suspendre le procès jusqu’à 2017 pour leur donner du temps afin d’analyser les informations divulguées, pour garantir que tous les contre-interrogatoires à venir soient menés à la lumière des éléments divulgués par l’accusation et pour faire des demandes d’impact de l’enquête concernant la subornation de témoin sur l’équité du procès.
Les juges ont rejeté la demande de la défense, décidant que, bien que les informations divulguées « pouvaient évidemment avoir une influence sur certains aspects » de la stratégie de la défense, un arrêt immédiat de la procédure n’était pas garanti. Ils ont suggéré que la défense pourrait se voir accorder du temps pendant la préparation de sa plaidoirie pour faire des demandes sur les documents divulgués.
Pour faciliter l’examen par la défense des documents communiqués, les procureurs ont classé et identifié les enregistrements des visites et des appels réalisés au centre de détention de la Cour qui, selon eux, impliquaient M. Ntaganda.
Le 28 novembre, les avocats de M. Ntaganda ont demandé aux juges de reconsidérer leur décision, soulignant l’important volume des documents divulgués qui demandaient des semaines pour qu’ils les examinent et pour qu’ils puissent y réagir, la divulgation tardive des documents par l’accusation ainsi que les préjudices qui en découlent subis par l’accusé. Les juges ont réaffirmé leur décision le 1er décembre.
Les audiences du procès devraient reprendre le lundi 16 janvier.