Bosco Ntaganda, l’ancien commandant rebelle congolais jugé devant la Cour pénale internationale (CPI), a demandé aux juges d’arrêter le procès, affirmant que l’accusation avait détourné les procédures judiciaires lorsqu’elle avait eu accès de manière inopportune à des informations cruciales de la défense.
L’avocat de la défense Stéphane Bourgon a déclaré que lorsque le Bureau du Procureur (BdP) réalisait des enquêtes sur M. Ntaganda concernant la subornation présumée de témoins, il avait obtenu des centaines d’enregistrements de ses conversations, y compris celles échangées sur la stratégie de la défense et sa connaissance personnelle de l’affaire. Il a soutenu que cela représentait un abus des procédures de la Cour et, par conséquent, M. Ntaganda ne pouvait plus bénéficier d’un procès équitable. Il a suggéré qu’une pause des procédures était le seul recours possible.
Dans une demande du 20 mars 2017, Me Bourgon a déclaré que les 4 684 conversations que l’accusation avait obtenu ont révélé des informations détaillées et confidentielles de la défense, « qui révèlent l’identité de témoins potentiels, la stratégie de défense de l’accusé et d’autres arguments déterminants ».
Il a ensuite estimé que le BdP n’aurait pas dû autoriser les procureurs du procès en cours à avoir accès aux conversations obtenues lors des enquêtes relatives à la subornation de témoin.
Il a affirmé que, au contraire, la responsabilité de l’enquête au titre de l’article 70 était conservée par le premier substitut du Procureur dans le procès principal. Me Bourgon a suggéré que le Procureur aurait pu demander la nomination d’un conseil indépendant pour mener l’enquête ou pour garantir que des personnes différentes de son bureau gèrent les deux procédures.
Cependant, dans une réponse du 6 avril, le procureur Fatou Bensouda a soutenu que la défense avait omis de formuler des faits ce qui équivaudrait à un abus de droit ou qui donnerait lieu au « recours exceptionnel » de la suspension du procès.
Selon elle, M. Ntaganda n’avait subit aucun préjudice du fait que l’accusation « ait découvert un plan de subornation et de préparation de témoins qu’il avait dirigé ». Elle a également rejeté l’argument selon lequel les enquêtes de l’accusation dans ce type de faute grave avaient rendu le procès inéquitable ou avaient en quelque sorte influencé la Chambre de première instance.
Me Bensouda a estimé que bien que la défense ait affirmé que l’équipe principale de l’accusation n’aurait pas dû donner accès aux conversations de M. Ntaganda, qu’elle avait omis de citer une jurisprudence interdisant à une équipe de l’accusation d’enquêter sur la faute présumée de l’accusé pendant le procès. Elle s’est référé à une décision de la Chambre d’appel selon laquelle le même procureur peut traiter les charges au sens de l’article 70 et des charges au sens des article 6 à 8 sans susciter un conflit d’intérêt.
L’article 70 traite des infractions contre l’administration de la justice tandis que les articles 6 à 8 traitent des génocides, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre qui sont considérés comme les crimes principaux pour lesquels la CPI a été fondée afin d’enquêter et d’instruire.
En septembre dernier, les juges ont émis une décision conservant les restrictions qui avaient été imposées sur les communications de M. Ntaganda en septembre dernier, après avoir conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire qu’il s’était personnellement engagé dans la préparation de témoins et qu’il avait également incité ses complices à le faire. Ces restrictions ont été ensuite maintenues le mois dernier dans une décision sur une requête de la défense.
En 2015, les juges ont accordé à l’accusation un accès aux conversations non confidentielles de Thomas Lubanga datant de mars 2013 pour faciliter les enquêtes menées en vertu de l’article 70. En novembre dernier, l’accusation avait divulgué à la défense 20 968 enregistrements, qui indiquerait selon elle de « graves et inquiétantes tentatives »de M. Ntaganda et de M. Lubanga destinées à interférer dans les enquêtes de l’accusation et avec les témoins et à préparer les témoins potentiels de la défense. Les enregistrements comprennent 4 684 fichiers audio de conversations téléphoniques et de 4 684 fichiers de métadonnées avec des informations sur la date, le temps de début, le temps de fin ainsi que la durée de la conversation et le numéro de téléphone appelé par M. Ntaganda et M. Lubanga.
Le procès de M. Ntaganda pour treize chefs de crimes de guerre et cinq chefs de crimes contre l’humanité a débuté en septembre 2015. Tous les témoins de l’accusation ont conclu leurs témoignages. Trois victimes participant au procès ont témoigné la semaine dernière alors que cinq autres victimes avaient précédemment présenté leurs vues et préoccupations aux juges. La défense devrait débuter ses moyens de preuve à la fin du mois prochain.
Les avocats de M. Ntaganda ont déclaré que l’accusation tentait d’introduire des éléments de preuve découlant de ces conversations dans le procès en cours. Cependant, l’accusation a rejeté cette allégation, affirmant que les éléments de preuve citées par la défense était passé dans les mains de l’accusation bien avant qu’elle n’examine les conversations. Me Bourgon a également affirmé que l’accusation cherche à rencontrer les potentiels témoins de la défense mentionnés dans les conversations de M. Ntaganda.
Les juges devraient prononcer une décision sur la demande de la défense de suspendre le procès.