Kuniko Ozaki, un des trois juges de la Cour pénale internationale (CPI) siégeant à la chambre en charge du procès Bosco Ntaganda, a été autorisée à continuer à exercer en tant que juge à temps partiel pour cette affaire après qu’elle ait accepté le poste d’ambassadrice du Japon en Estonie pour le mois prochain.
Le 4 mars 2019, une majorité des juges de la Cour a décidé que la demande de la juge Ozaki de continuer à exercer sa fonction dans le procès Ntaganda tout en occupant le poste d’ambassadrice n’était pas incompatible avec les exigences de l’indépendance judiciaire de la CPI.La CPI compte 18 juges et, en vertu du Statut de Rome, une majorité de juges décide des questions relatives à l’indépendance judiciaire.
La décision autorisant la juge Ozaki à continuer d’exercer a été soutenue par 14 juges tandis que Marc Perrin de Brichambaut, Luz del Carmen Ibáñez Carranza et Rosario Salvatore Aitala s’y sont opposés. La juge Tomoko Akane s’est abstenue alors que le juge Cuno Tarfusser n’a pas assisté à la séance.
Le procès de M. Ntaganda pour des crimes qui auraient été commis en République démocratique du Congo en 2002 et en 2003 s’est ouvert en septembre 2015 et en septembre dernier la défense et l’accusation ont présenté leurs déclarations orales finales. La date du prononcé de la décision n’a pas encore été fixée.
La juge Ozaki a siégé à la Chambre de première instance VI qui était en charge de l’affaire Ntaganda depuis sa constitution en 2014. Bien que son mandat en tant que juge de la CPI se soit conclu le 10 mars 2018, elle est restée en fonctions jusqu’à la conclusion du procès Ntaganda. Conformément à l’article 36(10) du Statut de Rome, un juge affecté à une chambre de première instance doit rester en fonctions pour conclure tout procès ou appel dont les audiences ont déjà commencé.
Avec son entrée en fonction en tant qu’ambassadrice qui doit avoir lieu le 3 avril 2019, la juge Ozaki a demandé à la Présidence de lui permettre de continuer en tant que juge à temps partiel dans le procès Ntaganda jusqu’au prononcé du jugement ou jusqu’à la fin de la phase de détermination de la peine.
Elle a indiqué que le poste d’ambassadrice n’interfèrera pas avec sa fonction judiciaire dans le procès et n’affectera pas la confiance en son indépendance puisqu’il sera limité à des relations bilatérales entre l’Estonie et le Japon.
« Dans le cas d’une incidence sur l’affaire Ntaganda, je m’abstiendrais d’exécuter mes fonctions dans cette mesure ou j’en aviserais immédiatement la Cour », a affirmé la juge. « J’assure également à la Cour être prête à retourner siéger à la Cour pour m’acquitter de mes fonctions judiciaires et que, dans ce cas, je n’agirai d’aucune manière comme ambassadrice du Japon en Estonie ».
En réponse à la demande du juge Ozaki, la Présidence a attiré l’attention de l’ensemble des juges sur l’article 40 du Statut de Rome sur l’indépendance des juges. L’article 40(2) prévoit que les juges n’exercent aucune activité qui soit incompatible avec leurs fonctions judiciaires ou qui fasse douter de leur indépendance. L’article 40(3) énonce que les juges sont tenus d’exercer leurs fonctions à plein temps au siège de la Cour et ne doivent se livrer à aucune autre activité à caractère professionnel.
Lors d’une session plénière, les juges ont fait remarquer que la norme applicable à utiliser lorsque l’on examine si une question d’indépendance de la justice se pose dans ces circonstances est celle que renferme l’article 40(2). La première condition est l’obligation de n’exercer aucune activité qui soit incompatible avec les fonctions judiciaires. La deuxième condition est l’obligation de n’exercer aucune activité qui fasse douter de leur indépendance. Un présumé manquement à satisfaire à l’une ou l’autre serait déterminant pour la non conformité de l’activité proposée avec le principe d’indépendance des juges.
La majorité a considéré que la fonction d’ambassadrice de la juge Ozaki était peu susceptible d’interférer avec ses fonctions judiciaires à la Cour ou de faire douter de son indépendance en tant que juge. Ils ont souligné que la juge avait fait la « demande exceptionnelle » d’obtenir un statut de juge à temps partiel et que ses fonctions judiciaires soient limitées à celles qu’il lui restait à effectuer dans le cadre de l’affaire Ntaganda.
En outre, la majorité a décidé que les activités de la juge Ozaki en tant qu’ambassadrice seraient exclusivement limitées aux relations bilatérales entre le Japon et l’Estonie et qu’aucun de ces deux pays n’avait de rapport avec l’affaire Ntaganda. L’article 35(3) prévoit que, en fonction de la charge de travail de la Cour, la Présidence peut décider périodiquement de la mesure dans laquelle ceux-ci sont tenus d’exercer leurs fonctions à plein temps.
Cependant, les juges dissidents ont soutenu que le fait qu’une personne qui reste juge à la CPI exerce une fonction exécutive ou politique pour un pays serait susceptible d’affecter la confiance du public dans l’indépendance de la justice. Ils ont établi un parallèle entre la demande de la juge Ozaki et l’ancienne juge du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), Odio Benito, qui a demandé et obtenu l’autorisation des juges du TPIY avant de se porter candidate au poste de vice-présidente du Costa Rica. Ils ont souligné que, contrairement à la juge Ozaki, la juge du TPIY s’était engagée à n’assumer aucune fonction politique avant de conclure son mandat de juge.
La minorité a également déclaré qu’il existait un « risque important » que le fait d’approuver la demande de la juge Ozaki puisse entraîner une éventuelle récusation en vertu de l’article 41(2)b du Statut de Rome dans l’affaire Ntaganda ou qui pourrait être soulevée en appel.Cet article stipule qu’une personne faisant l’objet d’une enquête ou de poursuites peut demander la récusation d’un juge si son impartialité peut être raisonnablement mise en doute.