L’accusation et les avocats des victimes se sont opposés à la demande de la défense adressée aux juges d’ordonner une suspension du procès de Bosco Ntaganda qui se tient devant la Cour pénale internationale (CPI). La semaine dernière, la défense a demandé à la Chambre de première instance VI une suspension temporaire de la procédure jusqu’à ce que M. Ntaganda ait la possibilité d’intenter une action pour savoir si la juge Kuniko Ozaki devait être récusée de l’affaire.
Selon le procureur Fatou Bensouda, les avocats de M. Ntaganda n’ont pas prouvé l’existence d’un risque sérieux d’un préjudice irréversible au droit de l’accusé de bénéficier d’un procès équitable pour justifier « le recours exceptionnel » que représente une suspension du procès. Elle a souligné qu’une « majorité absolue » des juges de la Cour avaient « évalué avec sérieux » la question de la nomination de la juge Kuniko Ozaki en tant que juge à temps partiel et avaient décidé que son rôle en tant qu’ambassadrice du Japon en Estonie tout en conservant ses fonctions de juge à temps partiel ne violait pas le règlement de la Cour.
Les représentants légaux des victimes se sont opposés également à la demande de M. Ntaganda, affirmant qu’il n’était pas parvenu à démontrer l’existence d’un préjudice irréversible causé à l’accusé. Ils ont également déclaré qu’il n’apparaissait pas clairement pourquoi la défense demandait une suspension ou un ajournement mais qu’aucun n’était justifié. Dans un document commun, deux avocats des victimes ont estimé que, pour qu’il soit compris comme une demande de suspension du procès, un « recours si radical » devrait être soumis à des exigences réduites telles que prévues par le règlement de la Cour.
De plus, les avocats des victimes ont déclaré que tout ajournement aurait un impact injustifié sur la diligence du procès et porterait préjudice aux victimes car il repousserait le prononcé du jugement. Ils ont souligné que puisque les mémoires en clôture avaient été soumis il y a près d’un an et que les plaidoiries finales entendues en août dernier, il était probable que les délibérations avaient grandement progressé.
Dans leur demande en date du 1 er avril 2019 de suspendre le procès, les avocats de M. Ntaganda ont soutenu que permettre à un juge de continuer à siéger à un procès alors qu’il existe des motifs substantiels de croire qu’il peut être récusé entraînait le risque sérieux d’un préjudice irréversible au droit de l’accusé de bénéficier d’un procès équitable.
L’avocat principal de la défense, Me Bourgon, a également indiqué qu’un manquement à suspendre immédiatement le procès risquait de ternir l’image des deux autres juges de la Chambre de première instance VI « du fait de leur participation à des délibérations avec un juge qui pourrait par la suite être récusé au moment de leurs délibérations communes ».
Les avocats des victimes ont rejeté cet argument, le qualifiant d’hypothétique et de prématuré car la requête de récusation n’a jamais été déposée et entendue.Ils ont indiqué que la défense doit d’abord démontrer l’impression d’un parti pris inacceptable ou l’impartialité du juge Ozaki afin de démontrer comment cette impression aurait une influence sur ses collègues siégeant pour la même affaire.
Cette opinion est partagée par le procureur qui a déclaré : « La défense a simplement affirmé qu’elle pourrait introduire une demande relative à cette question auprès de la Présidence ou de tout autre entité à un moment donné dans l’avenir lorsqu’elle pourra obtenir un complément d’information ».
Cependant, le procureur a également soutenu qu’il n’y avait aucune base juridique dans les instruments légaux de la CPI permettant de remettre en cause une décision prononcée par les juges réunis en plénière. Ces juges ont voté sur la modification des fonctions de la juge Ozaki, avec 14 juges se prononçant pour, trois contre et un s’abstenant. Me Bensouda a déclaré que, bien que la défense puisse décider à l’avenir d’explorer d’autres voies de procédure pour statuer si la juge Ozaki devait être récusée ou pour statuer sur l’impact de la décision des juges réunis en plénière sur l’affaire Ntaganda, « à ce jour, l’organe compétent (juges en plénière) a statué définitivement sur cette question ».
L’avocat de M. Ntaganda soutient que la nomination de la juge Ozaki en tant qu’ambassadrice place le juge en violation de l’article 40(3) du Statut de Rome, qui énonce que les juges tenus d’exercer leurs fonctions à temps plein au Siège de la Cour ne doivent se livrer à aucune autre activité de caractère professionnel.
De plus, les avocats de la défense ont remis en cause la juge Ozaki pour manquement à divulguer le fait qu’elle avait été nommée ambassadrice lorsqu’elle avait demandé à devenir un juge à temps partiel. Cette semaine, Me Bourgon a argué que le Greffe de la Cour, Peter Lewis, s’était rendu au Japon au mois de janvier dernier. La Présidence a conseillé au Greffe de divulguer le motif pour lequel la question de la nomination de la juge Ozaki avait été débattue et s’il avait informé les juges de ces discussions.
La défense a demandé, la semaine dernière, à la Présidence de divulguer la totalité de la correspondance afférente à la demande de la juge Ozaki et l’ensemble du raisonnement des juges qui ont accédé à sa demande.
Ni la Chambre de première instance VI ni la Présidence n’ont apporté de réponse publique aux demandes de M. Ntaganda.