Les avocats représentant l’accusé de crimes de guerre Bosco Ntaganda dans son procès qui se tient devant la Cour pénale internationale (CPI) ont eu connaissance la semaine dernière de la date limite du 20 juin 2019 pour déposer une requête visant la récusation de la juge Kuniko Ozaki. Selon la Présidence de la Cour, les demandes répétées de la défense concernant la poursuite des fonctions de la juge Ozaki au sein du procès ralentissent la procédure portée à l’encontre de M. Ntaganda, qui est jugé à La Haye depuis septembre 2015.
La juge Ozaki a été au cœur d’une saga découlant de sa nomination en tant qu’ambassadrice du Japon en Estonie alors qu’elle conservait ses fonctions de juge de la CPI. Le mois dernier, elle a renoncé au poste diplomatique sous les protestations de la défense, qui demandait une pause dans le procès, soutenant que son double rôle d’ambassadrice et de juge violait le règlement de la Cour.
La demande de suspension de la procédure a été rejetée par les juges de la Chambre de première instance VI, qui ont décidé qu’une pause du procès n’était pas justifiée à ce stade avancé du procès, qui plus est, avant que la défense ne dépose une demande de récusation de la juge Ozaki du procès. La demande de la défense de divulguer toutes les informations concernant les délibérations des juges réunis en plénière, qui ont voté il y a deux mois pour permettre à la juge Ozaki d’exercer simultanément les fonctions d’ambassadrice et de juge, a été également rejetée par la Présidence.
Le 14 mai, la Présidence a rejeté une demande postérieure de la défense de réexamen de sa décision et a critiqué les avocats de M. Ntaganda pour avoir déposé des demandes répétées au lieu de faire une demande de récusation. « Au lieu de faire correctement cette demande de récusation, la défense de M. Ntaganda s’est engagée dans de nombreux dépôts de documents de procédure distincts répétés, mais toutefois liés, portant sur diverses questions », a déclaré la Présidence. Elle a cité la règle 34(2) du Règlement de procédure et de preuve, qui prévoit que les requêtes en récusation sont présentées dès que sont connus les motifs sur lesquels elles sont fondées.
La Présidence a déclaré que bien que la Chambre de première instance VI se soit engagée à ne pas délivrer de jugement sur la culpabilité ou l’innocence de M. Ntaganda avant la résolution de toute requête en récusation, les avocats de la défense ont continué à déposer des motions de procédure qui ont créé de la confusion et du retard dans la procédure. Par conséquent, la situation est devenue intenable et il était indispensable que M. Ntaganda dépose toute demande de récusation qu’il souhaitait faire connaître avant le 20 mai. Les autres parties et participants au procès doivent répondre d’ici le 27 mai alors que la juge Ozaki a jusqu’au 3 juin pour présenter ses observations sur cette demande.
La demande de la défense sera déposée en vertu de l’article 41(2)(b), qui stipule qu’une personne faisant l’objet d’une enquête ou de poursuites peut demander la récusation d’un juge si son impartialité peut être raisonnablement mise en doute.
En demandant la suspension du procès, l’avocat de la défense Me Bourgon a soutenu que la nomination de la juge Ozaki et sa conduite par rapport à cette nomination constituaient des motifs de croire qu’elle devrait être récusée sur la base d’un manque d’indépendance ou d’une apparence de partialité. Il a demandé une suspension temporaire des délibérations jusqu’à ce que la défense ait la possibilité raisonnable d’intenter une action pour savoir si la juge doit être récusée de l’affaire Ntaganda.
Le procès de M. Ntaganda pour des crimes qui auraient été commis en République démocratique du Congo en 2002 et en 2003 s’est ouvert en septembre 2015 et en septembre dernier la défense et l’accusation ont présenté leurs déclarations orales finales.
Alors que la Présidence a rejeté la demande de la défense d’un réexamen, un juge, qui est resté anonyme, a favorisé une divulgation partielle d’informations nécessaires pour sauvegarder les droits de M. Ntaganda, y compris le fait de demander et de recevoir les informations nécessaires pour exercer normalement ses droits à une défense. Ce juge a néanmoins partagé l’avis des deux autres juges selon lequel les procès-verbaux des délibérations entre les juges lorsqu’ils ont voté pour la poursuite des fonctions de la juge Ozaki au sein de la Cour ne devaient pas être divulgués.
La défense a affirmé que, parce que c’était le gouvernement japonais et non la juge Ozaki qui avait informé la Cour de sa démission, une apparence a été créée que la juge Ozaki n’était pas indépendante par rapport au gouvernement de son pays.
En réponse, la Présidence a affirmé qu’elle n’avait pas l’obligation de rendre compte publiquement et de manière détaillée d’une question professionnelle débattue entre la juge et le gouvernement japonais. Toutefois, pour dissiper toute « fausse hypothèse », la Présidence a divulgué la lettre de la juge Ozaki datant du 12 avril 2019 adressée à la Présidence annonçant sa démission de son poste d’ambassadrice.
La juge Ozaki a écrit qu’il y avait différentes critiques qui lui étaient destinées personnellement, ce qui pouvait entraîner une détérioration de la confiance du public dans la Cour. « Je ne souhaite ni que cette situation persiste ni de semer une confusion inutile qui pourrait provoquer un retard dans la procédure », a-t-elle ajouté.
La juge espère que sa démission favorisera un achèvement rapide et efficace du procès Ntaganda. La juge Ozaki a déclaré qu’elle a estimé que sa responsabilité en tant que juge à temps partiel dans l’affaire Ntaganda et son travail en tant qu’ambassadrice du Japon en Estonie, pour une durée limitée entre la fin des délibérations sur les questions majeures de fait et de droit du jugement et son prononcé, étaient incompatibles avec le règlement de la Cour.