Bosco Ntaganda conteste la peine de prison de 30 ans qui lui a été infligée par les juges de la Cour pénale internationale (CPI), la qualifiant de manifestement excessive et disproportionnée. Ses avocats demandent à la Chambre d’appel de la Cour d’annuler la peine et d’en imposer une nouvelle qui ne soit pas supérieure à 23 ans.
En novembre dernier, les juges ont condamné M. Ntaganda, un ancien commandant rebelle de la République démocratique du Congo, à la peine la plus lourde prononcée par la Cour située à La Haye. Elle fait suite à sa condamnation pour 18 crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Il fait appel de sa condamnation de manière distincte, arguant, entre autres, que la condamnation n’a pas été valablement rendue puisqu’un des juges de la chambre qui l’a condamné n’était pas apte à exercer en tant que juge de la CPI.
Dans l’avis d’appel de la peine, les avocats de la défense déclarent que les juges de première instance ont omis, à maintes reprises, de prendre en compte le degré de la participation effective de M. Ntaganda à certains crimes. Ils soutiennent plutôt que les juges ont souvent repris le fondement de la responsabilité de M. Ntaganda sans envisager son degré de participation à différents crimes. L’article 81(2)(a) du statut de la Cour prévoit qu’il est possible d’interjeter appel de la peine prononcée au motif d’une disproportion entre la peine et le crime.
Le juge Howard Morrison a été nommé juge président pour statuer sur l’appel du jugement portant condamnation.
La défense reproche aux juges de première instance d’avoir omis d’évaluer réellement le « faible degré de la participation » de M. Ntaganda aux cinq crimes de violence sexuelle pour lesquels il a été condamné. La défense affirme qu’une évaluation concrète de la culpabilité personnelle exige que les juges aillent au-delà de la conclusion de la responsabilité pour garantir que la peine soit proportionnée à la responsabilité individuelle de M. Ntaganda.
La défense soutient que la décision de condamnation ne renferme aucune conclusion quant au fait de savoir si M. Ntaganda avait une connaissance antérieure, concomitante ou ultérieure des viols et de l’esclavage sexuel de civils ou d’enfants soldats ou s’il avait contribué concrètement aux viols. « Puisqu’elle a accordé un poids particulier aux circonstances cruelles de ces viols en tant que circonstances aggravantes, il incombait à la Chambre d’examiner la culpabilité de M. Ntaganda par rapport à cette cruauté et aux crimes dans leur ensemble », a indiqué la défense.
Soulignant que la Chambre a conclu que trois enfants soldats avaient subi des viols et un esclavage sexuel, la défense soutient qu’aucune de ces victimes n’étaient dans l’entourage de M. Ntaganda à l’époque des crimes « ou virtuellement à tout autre moment ».
La défense a ensuite affirmé que les juges de première instance ont échoué à évaluer si les actions attribuées à M. Ntaganda comme étant tolérantes ou approuvant le viol au sein des Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC) dans d’autres lieux avaient eu un impact sur la perpétration de crimes sur les trois enfants soldats. La défense indique qu’il s’agit d’un facteur important, étant donné « le nombre très faible de cas » de crimes sexuels sur des enfants soldats et parce qu’ils se sont produits loin du lieu de résidence de M. Ntaganda, sans autre indication de sa connaissance de ces évènements.
En juillet dernier, la Chambre de première instance VI a condamné M. Ntaganda pour des crimes commis en 2002 et 2003 alors qu’il commandait la milice des FPLC qui, d’après l’accusation, était principalement composée de membres du groupe ethnique Hema et visait les personnes appartenant à l’ethnie Lendu.
Les avocats de la défense ont également mis en cause les juges pour avoir rejeté l’ensemble des circonstances atténuantes de M. Ntaganda qui, selon eux, garantissaient une peine moins lourde. Ils citent l’échec présumé des juges à reconnaître les « efforts substantiels » de M. Ntaganda pour réconcilier les communautés Hema et Lendu en 2004 et pour démobiliser et intégrer les forces des FPLC dans l’armée nationale. Ils ont également évoqué l’échec des juges à « accorder de l’importance aux vies de 63 combattants ennemis qui ont été sauvés par M. Ntaganda ». Ces combattants ont été intégrés aux FPLC.
De plus, les avocats de la défense ont déclaré que les juges de première instance avaient mal compris, et écarté à tort, la signification des expériences traumatisantes de M. Ntaganda lors de la lutte contre le génocide rwandais. Dans son témoignage, M. Ntaganda, qui est né au Rwanda mais qui est citoyen congolais, a affirmé que certains des membres de sa famille qui vivaient au Rwanda avaient été tués lors du génocide de 1994. À l’époque, M. Ntaganda était un combattant de l’Armée patriotique du Rwanda, un groupe rebelle qui avait pris le pouvoir à Kigali en juillet 1994.
M. Ntaganda a témoigné que le génocide et la persécution des citoyens congolais appartenant à l’ethnie Tutsi comme lui-même l’avait motivé à rejoindre des groupes rebelles dans son pays natal afin de combattre l’injustice pour « ne plus voir d’autres communautés vivre ce que ma propre communauté [les Tutsi] a traversé ». Dans le jugement de condamnation, les juges ont statué que « la protection supposée d’un groupe par le biais d’actes visant à détruire ou à désintégrer un autre groupe ne peut constituer en aucune circonstance un élément atténuant ».
Les avocats de la défense ont également soutenu que les juges de première instance n’avaient pas accordé un caractère d’atténuation aux « efforts importants » de M. Ntaganda pour protéger un de ses codétenus au Centre de détention de la CPI de « graves dommages » Ni le nom du détenu en question ni le préjudice auquel il a échappé grâce à M. Ntaganda n’ont été indiqués. Dans le jugement, les juges reconnaissent que la conduite de M. Ntaganda concernant son codétenu a été « louable » mais ont décidé qu’elle n’était pas assez importante pour avoir un impact sur l’ensemble des peines ou même sur une peine individuelle.
La défense a également précisé que la Chambre de première instance VI n’avait pas évalué concrètement le degré de participation aux crimes commis lors de la seconde opération dont il était chargé, qui est distincte de la première opération. Dans le jugement, les juges considèrent que la culpabilité de M. Ntaganda pour les crimes commis pendant la première ou la deuxième opération est élevée, indépendamment du fait qu’il ait été physiquement proche des lieux où les crimes ont été perpétrés et ce, même dans les cas où il n’avait pas connaissance des détails des crimes avant, pendant ou après la commission de ceux-ci.
La défense estime cet avis erroné car la question qui aurait dû être examinée n’était pas uniquement une « proximité physique » ou des « spécificités » mais les différences substantielles et concrètes du rôle de M. Ntaganda ainsi que la connaissance de l’échelle et de la nature des crimes pendant les deux opérations. Elle affirme que M. Ntaganda avait très peu participé à la deuxième opération et qu’il y avait une connaissance assez limitée de celle-ci dans laquelle les crimes les plus brutaux avaient été commis comme le meurtre de 49 personnes dans la ville de Kobu.
Par conséquent, la défense estime que puisque le massacre de Kobu est « une tuerie unique et singulière » pour laquelle M. Ntaganda a été reconnu coupable, impliquant la majorité des victimes de meurtre de l’affaire, il incombait aux juges d’aborder clairement le degré réel de participation de M. Ntaganda à ce massacre. « L’absence de toute participation concrète de M. Ntaganda dans ce meurtre en masse doit être prise en compte pour parvenir à une vision correcte de sa culpabilité », a ajouté la défense.
De plus, les avocats de la défense ont déclaré que les juges ont décidé à tort que la participation de M. Ntaganda aux meurtres de la deuxième opération était augmentée du fait de son manquement à punir le commandant sur le terrain et du fait de la supposée approbation donnée au commandant des troupes ayant commis le massacre de Kobu et des autres meurtres. Selon la défense, déclarer M. Ntaganda coupable de ne pas avoir puni ce commandant sans déterminer que M. Ntaganda avait la capacité et l’opportunité de le faire constituait une erreur.
Les peines les plus lourdes infligées à M. Ntaganda pour des crimes individuels ont été prononcées pour meurtre et tentative de meurtre (30 ans) et persécution (30 ans). Les autres peines ont été imposées pour viol de civils (28 ans) et conscription, enrôlement et utilisation d’enfants dans un conflit armé (18 ans). Pour le viol de filles soldats des FPLC, il s’est vu infliger 17 ans. Dans un de ses motifs d’appel, M. Ntaganda affirme que les jugent avaient « compté deux fois » les même facteurs en prononçant une peine individuelle de 30 ans pour persécution en tant que crime contre l’humanité.