Alors que les juges de la Cour pénale internationale (CPI) devraient délivrer ce mois-ci l’ordonnance de réparation dans le procès Ntaganda, le Greffe de la cour a communiqué le nombre approximatif des victimes qui pourraient avoir droit à des réparations.Toutefois, les représentants légaux des victimes et les avocats de la défense ont remis en cause les critères utilisés par le Greffe lors de son évaluation des personnes admissibles aux réparations. Cela a jeté le doute sur les estimations du Greffe.
Les juges de la CPI ont délivré leur verdict de culpabilité le 8 juillet 2019. M. Ntaganda a été reconnu coupable, entre autres crimes, de meurtre, de persécution, de viol et d’esclavage sexuel à l’encontre d’enfants soldats, ainsi que d’enrôlement, de conscription et d’utilisation d’enfants afin qu’ils participent activement à des hostilités dans la province de l’Ituri, dans l’est du Congo, en 2002 et 2003. À l’époque, il exerçait les fonctions de chef adjoint de l’état-major dans les Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC), le bras armé de l’Union des patriotes congolais (UPC). M. Ntaganda a fait appel de sa condamnation et de sa peine de prison de 30 ans. Entretemps, la chambre a annoncé que l’ordonnance de réparation sera prononcée le 8 mars 2020.
En décembre 2019, la chambre a ordonné au Greffe de mener une évaluation du nombre de victimes qui avaient participé au procès Ntaganda ainsi que de celles qui étaient éligibles aux réparations dans le procès de Thomas Lubanga qui pourraient être potentiellement admissibles à des réparations, et de poursuivre son évaluation des nouveaux bénéficiaires potentiels.
Selon le rapport du Greffe délivré le 15 janvier 2021, 1 460 des victimes participantes à la procédure sont éligibles aux réparations. Ce nombre comprend la totalité des 284 anciens enfants soldats préalablement autorisés à participer au procès. Cependant, parmi les 1 837 victimes d’attaques participant au procès, seules 1 176 sont éligibles aux réparations.
Le Greffe a, par la suite, fait savoir que l’ensemble des anciens enfants soldats participants à la procédure pouvait bénéficier de réparations puisque les nombreux lieux dans lesquels ils avaient participé activement à des hostilités ainsi que les lieux dans lesquels ils avaient été enrôlés et conscrits avaient été fréquemment cités dans la procédure.
Dans leurs conclusions du 15 février 2021, les avocats de M. Ntaganda ont indiqué que l’évaluation finale du Greffe des victimes autorisées à participer au procès qui étaient des bénéficiaires potentiels de réparations avait été menée avant que les juges ne statuent sur le système de détermination de l’éligibilité. De plus, les avocats de la défense ont soutenu que l’évaluation avait été menée sans garantir à la défense l’accès aux formulaires de demande des victimes, ce qui aurait pu permettre à M. Ntaganda de remettre en cause l’éligibilité de certains demandeurs.
« La défense n’a pas reçu les demandes des victimes et n’a pas du tout été consultée par le Greffe bien qu’elle s’oppose à la méthodologie utilisée par le Greffe pour déterminer l’éligibilité des victimes participantes », a indiqué l’avocat principal de la défense Stéphane Bourgon. Il a remis en question la crédibilité de l’évaluation du Greffe, affirmant que le Greffe avait rencontré des difficultés en appliquant les lignes directrices des juges.
Entretemps, l’avocat des victimes Dmytro Suprun a également soulevé certaines questions concernant les chiffres du Greffe, particulièrement son estimation de 1 100 nouveaux bénéficiaires potentiels. Les nouveaux bénéficiaires sont les personnes qui n’avaient pas été antérieurement autorisées à participer à la procédure. Me Suprun a déclaré qu’il semblait que le Greffe aurait évalué par erreur l’éligibilité de victimes en se basant sur leur résidence ou leur présence dans les villages lors des attaques de l’UPC / des FPLC.
Me Suprun a indiqué que cette approche irait à l’encontre des conseils prodigués par les juges en décembre 2020. La Chambre a déclaré que « les victimes affirmant avoir subi des préjudices dans la forêt ou la brousse entourant les lieux pour lesquels des constatations positives avaient été incluses dans le jugement pouvaient être admissibles à des réparations pour tous les crimes pour lesquels la Chambre avait prononcé une déclaration de culpabilité pour la conduite pertinente correspondante qui serait survenue dans la forêt ou la brousse autour de ces lieux ».
Selon les avocats des victimes, après que l’UPC / les FPLC aient attaqué les villages, les civils ont fui massivement à travers les régions de Banyali-Kilo et de Walendu-Djatsi, un grand nombre d’entre eux trouvant refuge dans les collines, les forêts et la brousse. En fuyant et en se cachant, les victimes ont été exposées à une violence, à des dangers et à des menaces continus qui ont entraîné des préjudices. Les avocats ont fait valoir qu’il serait par conséquent inadmissible de juger inéligibles à des réparations les victimes provenant de zones comme Djuba, Katho, Dyalo, qui sont restées dans des conditions difficiles dans des forêts ou la brousse près de la ville de Lipri après avoir fui la violence de l’UPC / les FPLC.
Dans ses observations du 12 février 2021, Me Suprun a souligné que les victimes évaluées par le Greffe comme inéligibles devraient avoir l’opportunité de préciser leur récit à une étape plus tardive du processus de réparations, afin d’éviter que des injustices n’apparaissent si l’évaluation du Greffe s’avère inexacte.
Le Greffe a affirmé que le principal facteur affectant l’éligibilité des victimes participantes à recevoir des réparations était le lieu où elles avaient subi leurs préjudices. Celles qui résidaient dans des villages dans lesquels le jugement de condamnation ne déterminait pas que M. Ntaganda ait commis des crimes n’ont pas été considérées comme éligibles.
Me Suprun a déclaré que, bien qu’il ne souhaitait pas remettre en cause l’efficacité de l’évaluation du Greffe, il estimait « frappant » que, dans un procès dans lequel 13 villages de l’ensemble de l’Ituri étaient touchés, le nombre des nouveaux bénéficiaires de réparations potentiels était si faible par rapport à la taille de la zone, les lieux dans lesquels M. Ntaganda avait commis les crimes et le nombre estimé de civils affectés par ces crimes.
Selon Me Suprun, le chiffre de 1 100 ne pouvait servir d’évaluation précise pour le nombre de nouvelles victimes potentiellement éligibles et les juges devraient s’en servir avec prudence. Entretemps, Me Bourgon a affirmé que puisque le Greffe avait mené des consultations limitées, il était prématuré qu’il puisse tirer des conclusions quant au nombre de nouvelles victimes éligibles et a demandé aux juges d’ignorer les observations du Greffe sur les chiffres. La défense a également indiqué qu’il était essentiel de fixer une date limite au Greffe pour la recherche de nouvelles victimes.
Le Greffe a expliqué que les contraintes découlant de la Covid-19 et de la situation complexe concernant la sécurité en Ituri ont rendu plus difficiles le contact avec de nouveaux bénéficiaires potentiels à cause des précautions nécessaires en matière de santé et de sécurité.