La nécessité pour la Cour pénale internationale (CPI) de rendre une justice plus proche des victimes des crimes qu’elle juge a poussé les juges de la Cour à suggérer que l’ouverture du procès de Bosco Ntaganda en juin 2015 s’effectue dans la ville de Bunia située dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC).
Toutefois, bien que cela pourrait concrétiser une aspiration de longue date de la Cour, plusieurs facteurs pourraient empêcher cette proposition de devenir réalité. Il s’agit de préoccupations liées à la sécurité du personnel de la Cour, à la disponibilité d’un centre de détention approprié et sécurisé pour l’accusé, à une absence d’installations adéquates pour la Cour et à une insuffisance de logements pour les juges et les fonctionnaires de la Cour.
Ntaganda répond de 18 chefs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité qui auraient été commis lorsqu’il était le chef militaire adjoint des Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC). Les crimes auraient été perpétrés sur des civils en Ituri, une province du Congo, en 2002 et 2003. Bunia est la capitale de la province et accueillait le quartier général des FPLC.
Les juges de première instance Robert Fremr (juge président), Kuniko Ozaki et Chang-ho Chung ont recommandé à la présidence de la Cour que les exposés introductifs du procès, qui pourraient durer trois ou quatre jours, se tiennent à Bunia.
En vertu de la règle 100 du Règlement de procédure et de preuve, la Cour considère qu’il serait de l’intérêt de la justice si elle siégeait hors de son pays d’accueil pour cette période tel qu’il a été requis.
Dans une observation sur la possibilité de tenir une partie des audiences à Bunia, les représentants légaux des victimes ont indiqué que tout effort pour rapprocher le travail de la CPI de la communauté affectée était d’une importance capitale pour les victimes et pour la Cour dans son ensemble. Ils ont déclaré que, étant donné que la large majorité des victimes de l’affaire réside en Ituri, Bunia était le lieu approprié pour tenir ces audiences.
Depuis des années, la CPI fait face à des critiques selon lesquelles les procès menés à La Haye sont trop éloignés des victimes des crimes. Jusqu’à présent, tous les procès menés par la Cour ont concerné des crimes commis en Afrique. Bien que les audiences de la CPI soient systématiquement diffusées par Internet, les victimes vivent souvent dans des zones ayant un accès limité à Internet.
Á l’ouverture du procès de Thomas Lubanga en janvier 2009, la Cour a organisé une projection publique de la procédure en cours dans une salle communautaire de Bunia, mais la projection aurait été suspendue pour des question de sécurité. M. Lubanga, l’ancien président des FPLC, a été la première personne condamnée par la CPI. Il purge actuellement une peine de 14 ans de prison pour le recrutement, l’enrôlement et l’utilisation d’enfants de moins de 15 ans dans un conflit armé.
Dans le procès de l’ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba, les juges ont envisagé de tenir des audiences dans les salles d’audience du Tribunal pénal international pour le Rwanda (ICTR) à Arusha, en Tanzanie, en partie parce que de nombreux témoins de la défense ne pouvaient obtenir de passeports et de visas pour l’Europe. Un grand nombre d’entre eux était d’anciens soldats exilés de la RDC ou de la République centrafricaine (RCA) et leur incapacité à se rendre au siège de la Cour a entraîné de nombreux retards dans le procès.
Lorsque Fatou Bensouda, procureur de la CPI, a visité l’Ouganda au début du mois, elle a été inondée d’appels pour que le procès du haut commandant Dominic Ongwen de l’Armée de Résistance du Seigneur se tienne en Ouganda. Un grand nombre des victimes et des chefs locaux qu’elle a rencontré lui ont déclaré que La Haye était trop éloignée des lieux où les rebelles dirigés par Joseph Kony avaient perpétré leurs crimes et que la population d’Ouganda ne serait pas en mesure de suivre le procès.
Bien que l’accusation et la défense aient accueilli favorablement l’idée de tenir une partie du procès Ntaganda à Bunia, le Bureau du Procureur (BdP) a fait part de nombreuses préoccupations, comme le fait de savoir s’il y avait des logements appropriés pour le personnel de la Cour et un lieu adéquat pour le procès ; l’intermittence des connexions à Internet au Congo ; la probabilité d’une impossibilité à présenter sur support électronique les preuves alors que l’accusation l’exigera pour son exposé introductif. Dans son dernier rapport de faisabilité, le greffe de la Cour a précisé qu’un ordinateur portable pourra être fourni.
Dans leur recommandation, les juges ont affirmé que si une présentation électronique des documents était permise, les locaux proposés par le greffe seront suffisants. Ils ont indiqué que « les inconvénients découlant d’une salle d’audience plus sommaire et d’un hébergement de même nature seraient largement compensés par les avantages potentiels résultant du fait de permettre que les audiences se rapprochent d’une manière significative des communautés touchées ».
Le BdP a également noté qu’un accès limité aux audiences et une absence de diffusion publique pourraient contrecarrer l’objectif de rapprochement du procès et des victimes.
Les juges ont toutefois fait remarquer que le greffe avait indiqué la possibilité d’assister aux audiences sur une base de rotation, y compris pour les chefs de communauté ; de faciliter la couverture par les médias locaux et internationaux des audiences, notamment la fourniture de retransmission pour une diffusion radio ou audiovisuelle ; et de produire et de diffuser un résumé des audiences, y compris en format vidéo.
Concernant la situation sur le plan de la sécurité dans la région proposée, les juges ont fait observer qu’il faudra « une surveillance continue ainsi qu’une prise en compte attentive de la sécurité dans toute décision finale » pour savoir si la procédure sera menée ou non en RDC.
Enfin, les juges ont reconnu que, bien que les accords de coopération n’ont pas été finalisés entre les autorités congolaises et celles des Nations Unies, le greffe avait indiqué qu’une « réaction positive » avait été reçue des deux autorités à la proposition.
Une décision finale sur la recommandation des juges de première instance sera prise par la présidence en temps utile, en consultation avec la chambre, et soumise à l’accord des autorités de l’État compétentes.